art. 115, décembre 2011 • Caroline Désy : «Malraux à Montréal : tensions et démesure autour d’une visite» (2009)

5. Entre la propagande et la légende

Entre le «propagandiste» de La Presse et le «poète et combattant» du Canada, il n’y a pas de conciliation possible. Les articles des journaux prennent pour acquis que le lecteur sait qui est André Malraux : le Goncourt qu'il a obtenu en 1933 pour La Condition humaine en fait une figure importante de l'actualité culturelle, renommée qui s'entoure d'une aura d'aventurier en raison de sa participation à la guerre en Espagne.

Le Canada élève Malraux au rang de légende vivante en le comparant à Lénine; la foule en délire qui se presse pour l’entendre n’en ferait pas moins pour une vedette de cinéma d’Hollywood; bref, c’est un personnage plus grand que nature que présente Le Canada, alors que les autres journaux, et surtout Le Devoir, tentent à maintes reprises de ridiculiser et d’amoindrir le personnage Malraux. La conférence de Malraux laisse un vif souvenir au jeune Roger Duhamel qui écrira, vingt ans plus tard :

Avant la guerre, nous avons entendu André Malraux porter la parole dans une église protestante, aujourd'hui démolie, de la rue Dorchester. Il était dans sa période communiste et se livrait à la pro-pagande en faveur des républicains espagnols. Son débit était saisissant; doué d'une facilité inouïe, il improvisait un morceau d'une étonnante perfection, déjà digne de figurer dans une anthologie. Mince, nerveux, très pâle, agité de tics incessants, Malraux parlait comme un inspiré. Je ne sache pas qu'il ait convaincu un grand nombre de ses auditeurs; peu sans doute ont oublié cet orateur hors série, dont le verbe lançait des éclairs». 

Personnage à la fois exotique, intrigant et dangereux, Malraux est tour à tour aventurier (La Patrie) révolutionnaire (Le Devoir), intellectuel engagé (Le Canada) et grand voyageur (Le Devoir). Ajoutons un brin de snobisme parce qu’il est Français et récipiendaire du prix Goncourt. Les stratégies discursives repérées dans les journaux étudiés visent à : ridiculiser l’adversaire, miner sa crédibilité, le lier avec le communisme, l’accuser de passer des faits sous silence ou de dire des mensonges. De façon générale, une stratégie de «personnalisation» est utilisée : elle consiste à utiliser des détails personnels qui ne sont pas pertinents à la compréhension de l’enjeu de l’article, et ainsi elle participe à stéréotyper les protagonistes. Dans le cas du discours sur Malraux, on lui pose très vite l’étiquette de propagandiste, révolutionnaire ou héros solitaire. Sa nervosité, ses tics, sa position corporelle sont utilisés plus que nécessaire. Dans tous les journaux, on parle davantage du personnage que de son message: même le Canada, qui respecte l’écrivain et l’homme, utilise cette stratégie de personnalisation en édifiant Malraux en modèle plus grand que nature.

 

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© Présence d’André Malraux sur la Toile, article 115, texte mis en ligne le 8 décembre 2011.
www.malraux.org
 
 
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