Quels souvenirs laissent aux Espagnols le combattant Malraux et la guerre d'Espagne, soixante après les faits, alors que la France transfère les cendres de son grand écrivain engagé au Panthéon ? Thomas Wauquier, Conseiller aux Affaires étrangères, chef du service d'information et de presse à l'Ambassade de France e Espagne de 1996 à 1998 témoigne des séquelles profondes et rémanentes laissées par la guerre civile dans un pays où le travail de mémoire est encore en cours.
*
Mostoles, 25 novembre 1996. Presque 9 heures. Dans ce petit bar de tapas les chaises de métal raclent les dalles de faïence quand les premiers paysages de la Sierra de Teruel, en noir et blanc, apparaissent sur l'écran de la vieille Philips. Une assiette de tartines de morue à portée du verre de Rioja, Juan Pablo et Enrique attendaient de voir un ballon rouler par la lucarne, mais voilà qu'un vieux film de guerre se glisse parmi les nouvelles du jour. – Tiens, on voit Paris ! – Non, Enrique, ce n'est pas l'Arc de triomphe, c'est une sorte d'église romaine. – Il doit faire froid à Paris.
Les 22 colonnes du Panthéon. Trois pardessus, beige, gris et noir, gravissent lentement les 11 marches. Un peu en retrait, deux femmes. – La mère et la fille ? – Sûrement un enterrement. – Juanito, la couleur est revenue. Encore un quart d'heure avant le match.
A nouveau des archives en noir et blanc. Des séquences au ralenti. Des photos. Un homme mince, le regard sévère, cuirassé d'une veste à ceinture. Un gabocho, un Français parmi des aviateurs espagnols. – Mais il y avait aussi pas mal de Russes, pas vrai Enrique ? Le brouhaha s'éclaircit. Quelques soupirs dans la petite salle bruyante quand le Junker 52 cherche sa proie. C'est bien l'Espagne malade d'alors qu'on montre à nouveau. Depuis l'été 96 les occasions se sont multipliées. Les présentateurs de télévision disent qu'il faut se souvenir de ces années-là, pour fortifier la démocratie… Mais pourquoi, cette fois, parle-t-on de Paris et du président Chirac, en même temps que de la défense de Madrid ? Qui a reconnu la photo de Malraux dans sa grosse veste de cuir de l'automne 36 et qui comprend ici l'hommage qui lui est rendu le 25 novembre 1996 au cœur du quartier latin, rue Soufflot ? Que veut dire, vu d'ici, « l'intronisation du penseur français le plus tourné vers l'action », comme le souligne le reporter de T « aux côtés de Rousseau, Voltaire, Zola et Hugo ? ».
Lire la suite : télécharger l’article.
© Présence d’André Malraux sur la Toile / www.malraux.org
Texte mis en ligne le 22 avril 2012.