Les malruciens fervents et les savants austères aiment pointer une approche commune de la transcendance et du Mal radical chez Malraux et Dostoïevski. L’écriture haletante, les jeux de clair-obscur et la mise en scène d’interrogations métaphysiques dans un climat d’urgence renforcent l’analogie. Mais comment Malraux a-t-il lu l’œuvre de Dostoïevski ? Plus exactement, comment a-t-il dépassé la lecture « contagieuse » de l’adolescence par une seconde lecture plus informée ?
Nul doute que le jeune homme qui, selon Paulhan, avait « lu tout Dostoïevski à vingt ans », a su saisir auprès de ses aînés les intuitions les plus significatives et les savoirs les plus efficaces pour se forger une image du romancier russe rompant avec les icônes poussiéreuses héritées du XIXe siècle. André Gide, André Suarès, Elie Faure et Léon Chestov lui ont fourni la matière d’une réflexion novatrice sur un romancier propice aux enthousiasmes et aux haines.
De ces quatre intercesseurs, Malraux saura tirer le fil conducteur vers un Dostoïevski décapé et décapant. S’il revient constamment sur la mise en scène de la rivalité du Mal avec « n’importe quel acte d’héroïsme ou d’amour » et l’interrogation éperdue d’un ciel mutique, vidé, Malraux développe également des analyses formalistes de l’écriture dostoïevskienne. Près de quarante ans avant la traduction française de l’essai du formaliste russe Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski, Malraux, d’emblée sensible à la genèse des romans, devine leur composition polyphonique et dialectique. Pour mieux comprendre comment Malraux fait feu de tout bois, sait prendre des leçons pour en donner et se révèle surtout apte à renouveler constamment sa lecture de Dostoïevski selon les éclairages qu’il emprunte d’abord à ses aînés, il faut brièvement rappeler les points forts des articles de ses initiateurs dont on retrouve la métamorphose dans ses articles, ses essais et même ses romans.
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© www.malraux.org / Présence d’André Malraux sur la Toile
Texte mis en ligne le 10 juin 2013