D/1934.10.23 — André Malraux : «L’Attitude de l’artiste»

D/1934.10.23 — André Malraux : «Problèmes littéraires», déclaration de Malraux faite à Paris, le 23 octobre 1934, lors de la réunion de compte rendu du premier congrès des Ecrivains soviétiques d'août 1934, à Moscou. Monde [Paris], 7e année, n° 313, 2 novembre 1934, p. 8-9.                                                  

Repris sous le titre «L'Attitude de l'artiste» dans Commune [Paris], n° 15, novembre 1934, p. 166-175;

sous ce même titre dans le Magazine littéraire [Paris], nos 79-80, septembre 1973 : «Malraux», p. 20-21, (extraits);


 

André Malraux 

L'attitude de l'artiste

 

Il est d'abord indispensable de préciser deux notions qui vont rôder au-dessous de tout ce que je dirai, comme elles rôdaient déjà au-dessous de ce qui a été dit jusqu'ici.

La première est celle des rapports entre le marxisme et la littérature soviétique.

Concevoir une littérature comme l'application d'une doctrine ne correspond jamais à une réalité. L'Evangile a fait la Chrétienté qui a fait à son tour la littérature chrétienne. Les doctrines grecques ont fait la cité hellénique qui a fait à son tour la littérature grecque. Le marxisme a fait la société soviétique qui s'exprime dans la littérature de l'URSS. Entre une littérature et une doctrine, il y a toujours une civilisation, des hommes vivants.

Le second problème est celui de la liberté de l'artiste. Tout ce qui a été dit ici me semble juste, mais peut-être faudrait-il envisager maintenant un élément plus complexe.

Prétendre que la liberté de l'écrivain bourgeois se définit par la possibilité qu'il a toujours d'exprimer la classe bourgeoise, est juste socialement, beaucoup moins juste artistiquement.

[…]

Le problème fondamental de l'art soviétique est donc à mes yeux celui de l'objectivité retrouvée. Qu'y devient, nous dira-t-on, la personnalité de l'artiste ? Je ne crois pas qu'elle en soit diminuée, mais je crois que ses moyens sont différents. Au lieu de procéder par affirmation, il procède par choix.

Pozner vous a dit tout à l'heure que la méthode présente de l'art russe était le réalisme socialiste. Il vous a dit ce qu'il fallait entendre par là, je crois cette méthode valable et puissante. Mais je voudrais insister sur ceci : que la volonté de réalisme vaut pour l'URSS essentiellement parce qu'elle porte sur une réalité romantique. Guerre civile, communisme de guerre, plan quinquennal, constructions, gardes de frontières, républiques autonomes, tout cela crée une réalité tragique ou pittoresque qui donne à un réalisme tout ce dont il a besoin pour être dépassé.

Je crois enfin que la conséquence fondamentale de la société soviétique est la possibilité de recréer un humanisme; que l'humanisme peut être l'attitude fondamentale de l'homme à l'égard de la civilisation qu'il accepte, comme l'individualisme est son attitude fondamentale à l'égard de la civilisation qu'il refuse, que l'important ne sera plus sur la particularité de chaque homme, mais sur sa densité et qu'il défendra non pas ce qui le sépare des autres hommes, mais ce qui lui permet de les rejoindre au-delà d'eux-mêmes.

Il est grand temps de montrer que l'union des hommes est autre chose qu'une image de première communion. Je crois que de même que Nietzsche reprit ce qu'on appelait alors l'attitude de la brute et l'éleva jusqu'à Zarathoustra, nous reprendrons, bien au-delà, toute sentimentalité dérisoire, les valeurs par lesquelles les hommes s'unissent, et redonneront son sens à la fraternité virile.

 

Pour lire le discours.

 

mal_ehr_paster

André Malraux, Ilia Ehrenbourg, Boris Pasternak