«Discours prononcé par Monsieur André Malraux aux assises de Lille, le 12 février 1949». Sténotypie de 8 pages. / De larges extraits ont paru sous le titre «“Il faut que le langage de la France soit tenu”», Le Rassemblement [Paris], n° 96, 19 février 1949, p. 4.
André Malraux
Il faut que le langage de la France soit tenu
Le Rassemblement, 19 février 1949
Fin du discours :
C'est notre place reprise en Europe, c'est notre influence trouvée sur nos voisins immédiats. C'est enfin la possibilité de retrouver notre vieux langage à la fois d'audace et de liberté – et de jeter un continent dans la balance des continents.
La perspective peut sembler un peu vaste. Mais l'histoire est faite d'efforts modestes et acharnés, et si l'on devait la définir, ce serait d'abord par l'acharnement.
On m'a demandé de vous rappeler un souvenir que j'ai évoqué devant nos représentants ouvriers de Paris, la semaine dernière.
Je me trouvais vers 1942, en Corrèze, lorsque furent exécutés les premiers maquisards de la région. Les Allemands avaient laissé les corps à la mairie, et décidé de les ensevelir à l'aube.
Une coutume corrézienne veut que, lorsque des morts vont être ensevelis, chacun des habitants du village vienne au cimetière et les accompagne par la pensée en se tenant sur la tombe de sa propre famille.
Les Allemands arrivèrent donc à la fin de la nuit; et lorsque le jour se leva, ils virent non seulement tous les habitants du village devant les tombes, mais trois mille paysannes avec le fichu des veuves, sur toutes les tombes abandonnées, et au pied des arbres de la forêt proche. Et ils ensevelirent les corps sans rien dire.
C'est de ces mêmes bois que devait sortir plus tard, le maquis auquel se rendit la première division allemande qui capitula devant les Forces de l'Intérieur.
Compagnons, comme alors, une France de figures silencieuses, une France veuve de la générosité qu'elle apporta au monde, veuve de sa Libération, veuve d'elle-même, – une France trois fois veuve est autour de vous dans la nuit, sous ses arbres et sur ses tombes. Nous disons que nous lui serons fidèles. Que nous lui rendrons ses vieilles mains usées au destin du monde ! En unissant notre volonté et notre âme collective à l'homme qui est ici. Pour qu'elle devienne notre droit et son droit. Et parce que la France a besoin, depuis trop longtemps, d'un chef qu'elle puisse regarder sans avoir envie de rire.
Cimetière de Corrèze