D/1959.10.06 — André Malraux, «Biennale de Paris 1959. Remise des prix. Allocution de Monsieur André Malraux, ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles, [6 octobre 1959]», in Discours, allocutions, conférences de presse de M. André Malraux, ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles, 1958-1969, s.l.n.d. [Paris, ministère des Affaires culturelles, 1970], n.p. [2 p.]
André Malraux
Allocution prononcée le 6 octobre 1959 – Biennale de Paris – Remise des prix
Mesdames et Messieurs,
Tous ceux qui aiment la peinture, et même quelques autres, attendent avec curiosité la liste des tableaux choisis, parmi les six cents toiles d'une exposition dont nous avons tous compris, dès que nous l'avons parcourue, l'exceptionnelle importance de la signification historique.
A l'initiative de M. Raymond Cogniat, quarante-deux nations ont répondu. Cette exposition, l'âge des exposants aidant, marque bien, à un degré jamais atteint encore, un état de la peinture dans le monde.
Chacun de nous est contraint de faire le point.
Avions-nous prévu une telle présence de l'informel ? Elle est sans équivoque. Et nulle influence directrice n'a pu jouer, puisque les toiles envoyées par chaque nation ont été choisies par son propre jury.
Autre élément de surprise : la faiblesse des recherches figuratives (je mets à part la section française établie selon une autre méthode). Au développement de l'informel, aurait pu s'opposer la naissance d'une nouvelle peinture figurative, radicalement différente de celle de l'Union Soviétique et d'autres pays absents de cette exposition. Il n'en est rien.
N'en tirons pas de prophéties imprudentes. Lorsque l'impressionnisme conquit les Salons, il n'était déjà plus l'art de l'avenir. Au surplus, le mot informel couvre des tentatives très différentes, rassemblées seulement par un refus commun. On nous a beaucoup dit que la peinture devait être abstraite; ou, au contraire, ne pas l'être. Comme on avait dit qu'elle devait être impressionniste ou divisionniste… La peinture se garde bien d'obéir aux théories, même à celles des peintres. Pourtant, de son aventure présente, (sa première aventure planétaire…) je pense qu'elle conservera longtemps une conquête décisive : celle de la liberté du peintre à l'égard de la création picturale. L'artiste sait désormais que figuration et non-figuration dépendent de lui, dans les mêmes limites de la même liberté.
J'ai dit ailleurs que le rôle de l'Etat est d'assurer cette liberté. Et aussi, de montrer tout ce que cette aventure, qui vient de trouver à Paris son expression la plus éclatante, doit à Paris depuis son origine. L'année prochaine, une exposition de «Cinquante ans de peinture informelle» sous la direction de Jean Paulhan, montrera ce qu'ont dû à Paris telles écoles qui s'opposaient à la sienne. Il est nécessaire à la culture française que Paris demeure, en art, la Ville de l'Accueil. 1960 y verra les grandes expositions de l'Inde, du Japon, de l'Amérique latine, les chefs-d'œuvre du Zen et les maquettes de Brasilia. Mais ce n'est pas à nos efforts qu'elle devra d'abord le maintien de sa royauté. C'est à ce que dans aucune autre ville – fût-elle la plus puissante du monde – auprès d'un fleuve que bordent les boîtes des bouquinistes et les boutiques des marchands d'oiseaux, des rues entières n'opposent familièrement les toiles des plus grands maîtres aux tableaux de débutants, le génie d'hier à l'espoir d'aujourd'hui. C'est là seulement, que la peinture semble pousser entre les pavés…
Et dans ces tableaux, choisis entre tous ceux que le monde vient d'envoyer à Paris, et dont Raymond Cogniat va maintenant vous donner la liste, je ne puis m'empêcher de voir l'hommage de tous les peintres, à la ville dont on dira, lorsqu'elle aura disparu : «Ici, la peinture vécut en liberté».
Musée d’art moderne de la Ville de Paris