D/1968.11.26 — André Malraux : «[Intervention au Sénat, séance du 26 novembre 1968]», intervention au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 1969. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Sénat [Paris], n° 48 S, 27 novembre 1968, p. 1313-1316 et 1323.
André Malraux
«Intervention au Sénat le 26 novembre 1968»
Extrait 1
Citant une journaliste avec prudence, votre Rapporteur de la commission des finances dit : «Les Maisons de la culture ont failli à leur mission». Qu'il me permette de lui répondre par une phrase de Talleyrand qu'il connaît comme moi : «Ce qui est exagéré est insignifiant».
Il est vrai que les Maisons de la culture ne sont pas toujours administrées comme il le faudrait et qu'on n'a pas trouvé un bon système de relation entre leur direction, la municipalité et l'Etat. Elles excèdent parfois les possibilités des villes intéressées.
Les événements du mois de mai ont accentué les divergences. Mais ignorions-nous que cette entreprise serait difficile ?
Nous en sommes qu'au début de cette nouvelle aventure. Moins de dix Maisons de la culture fonctionnent, dont plusieurs ne méritent même pas ce nom. Qu'on se souvienne de tous les obstacles, les violences auxquelles a donné lieu la mise en place d'un enseignement primaire dans toutes les communes de France. Ce qui paraît explosif aujourd'hui en province dans le domaine de la culture ne le sera plus avant longtemps. Comme on l'a fait jadis pour l'enseignement, il s'agit de mettre la culture à la portée de tous : l'essentiel des Maisons de la culture, c'est la décentralisation, la fin du privilège parisien, le développement en province de foyers de diffusion, mais aussi de création. C'est la conquête progressive d'un public qui ne serait jamais allé ni au théâtre ni au concert.
Nous devons donc défendre d'abord la qualité des œuvres présentées au public. Nous devons défendre la liberté de l'animateur. Entendons-nous bien : aucune liberté n'est absolue et ne dispense du respect d'un minimum de règles de gestion.
De même, et ceci est d'autant plus vrai qu'elle s'exerce plus librement, toute action appelle un jugement dont il appartient aux instances compétentes de tirer les conséquences. Mais une fois choisi, avec l'arbitraire qu'un tel choix comporte inévitablement, et tant qu'il assume sa fonction, l'animateur doit être responsable de la conception et de l'accomplissement de sa mission, à l'abri de toute ingérence et de toute pression.
Extrait 2
Certes, il y a une crise des Maisons de la culture, mais une crise n'est pas une maladie mortelle. Il s'agit de les réformer et tout cet exposé est précisément un exposé de réforme, et non pas de les détruire. Toute tentative destinée à changer en profondeur ce qui existe se heurte à des obstacles. Ceux qu'a rencontrés l'établissement de l'instruction publique et obligatoire étaient bien plus redoutables – je vous rappelle la phrase du comte de Champagny à la tribune de l'Assemblée : «Les progrès de l'instruction publique appellent les progrès du crime.» – Et les Maisons de la culture dans leur ensemble ont manifestement contribué, comme le T.N.P. auquel on a adressé le même reproche, à promouvoir la culture française et non à l'affaiblir.