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Derek Allan, « Malraux et l’art : une révolution intellectuelle », New York, Bruxelles, Berne, Peter Lang International Academic Publishers, 2021.

Cette étude présente une explication systématique des éléments clés de la théorie de l'art d'André Malraux. Se basant sur des œuvres telles que Les Voix du silence, Le Surnaturel, L'Irréel et L'Intemporel, elle aborde des sujets cruciaux comme la nature de la création artistique, la psychologie de notre réaction à l'art, la naissance de la notion d'« art » et sa transformation après Manet, la naissance et la mort de l'idée de beauté, la question cruellement négligée de la relation entre l'art et le passage du temps, l'émergence de notre « premier monde de l'art universel », le rôle contemporain du musée d'art et du Musée Imaginaire, et la question épineuse du lien entre l'art et l'histoire.

Contrairement aux critiques négatives parfois émises contre la pensée de Malraux, l'étude soutient qu'il nous offre une théorie de l'art mûrement réfléchie, entièrement cohérente et très éclairante. De surcroît, et malgré des allégations occasionnelles que la pensée de Malraux manque d'originalité, cette analyse montre que sa théorie de l'art est hautement originale et constitue un défi radical aux explications traditionnelles de l'art issues des Lumières qui ont dominé la pensée occidentale pendant quelque trois cents ans. En bref, l'étude dévoile une façon de comprendre la nature de l'art qui n'est rien de moins qu'une révolution intellectuelle.

 

Compte rendu, par Claude Pillet

Derek Allan, André Malraux et l'art : une révolution intellectuelle, New York, Peter Lang Publishing, 2021.

Habituellement un essai portant sur l'ensemble des Écrits sur l'art d'André Malraux fait le tour des titres qui les composent. Il présente les choix de l'auteur et explique les notions principales qu'on y trouve : musée imaginaire, « antidestin », « humanisation du monde », « la présence dans la vie de ce qui devrait appartenir à la mort », Surnaturel, Irréel, Intemporel, métamorphose… Ce n'est pas prioritairement ce que propose Derek Allan qui a choisi un autre biais pour parler des textes sur l'art de Malraux, textes qui l'occupent depuis qu'il a soutenu sa thèse de doctorat à l'Université de Canberra. Il énumère les opinions des historiens et des philosophes de l'art qui ont écrit à propos de Malraux (souvent de manière dévalorisante) pour en montrer l'insuffisance ou la négligence. Se succèdent alors une série impressionnante et inédite de points de vue que l'auteur démonte. Il faut noter qu'il le fait sans hargne ni rancœur, mais avec une assurance des plus tranquilles. Il n'y a pas chez Allan de combativité qui serait mue par la déception ou la susceptibilité. Il dit leur fait aux contempteurs de Malraux sans s'en prendre à eux. Seule comptent l'affirmation critique et ses faiblesses que l'auteur met en évidence avec flegme et détermination.

Ainsi des critiques sont-elles renvoyées à leurs erreurs : « Comme nous l'avons vu, Malraux cite certes Denis, mais Guégan omet de mentionner qu'il le cite pour marquer son désaccord avec lui – pour suggérer que sa formule bien connue […] est inadéquate » (p. 62). D'autres sont vues comme des impasses : « En bref, pareilles théories […] posent un problème épineux. Même si l'on admet qu'elles impliquent la façon dont l'art est influencé par le temps, elles sont incapables de nous dire pourquoi et comment il lui échappe » (p. 77). D'autres encore peuvent mettre en lumière des caractéristiques de Malraux : « L'affirmation de Merleau-Ponty offre justement un point d'entrée utile dans notre débat actuel, en partie parce qu'elle est fréquemment citée et semble avoir exercé une influence considérable sur les critiques, et en partie parce que les erreurs qu'elle renferme nous aident à comprendre la véritable position de Malraux » (p. 144). Enfin quelques critiques montrent leurs propres défauts de lecture : « Les erreurs de Blanchot ici ne sont pas si différentes de celles commises par Didi-Huberman, et elles semblent dans les deux cas trahir une réticence à lire Malraux avec soin » (p. 90), voire leurs fourvoiements : « Merleau-Ponty a tout simplement tort et son analyse est une grave déformation de ce qu'écrit Malraux » (p. 147).

C'est ainsi, grâce aux réfutations d'opinions contraires, que Derek Allan peut décrire la « révolution intellectuelle » à l'œuvre dans les Écrits sur l'art de Malraux. Révolutionnaire est sa notion de métamorphose (« Si l'idée de métamorphose est solide, il s'agit alors d'un jalon dans l'histoire de la pensée occidentale sur l'art », p. 94). Révolutionnaire est « la relation entre l'art et le passage du temps » (p. 174). Révolutionnaire est la « nature de […] de [toute] sa théorie sur l'art » (p. 2). Pour finir, Allan note : « […] si sa théorie de l'art pourrait bien être décrite comme une révolution copernicienne dans notre réflexion sur l'art […], sa compréhension de la nature et de la signification de l'art concerne en fin de compte plus que l'art seul et […] elle est inséparable des questions touchant à l'importance de l'homme » (p. 177). Autrement dit, la philosophie de l'art de Malraux n'est semblable à nulle autre.

Il faut bien remarquer que, si Allan est très précis quand il évoque les critiques qui se sont opposées à Malraux, il est très avare de données concernant leurs points de vue ou les aspects qui ont tissé leurs pensées. C'est ainsi qu'il joint dans une même position Gombrich et Didi-Huberman (p. 158) ou Duthuit et Gombrich (p. 148) ou Didi-Huberman et Vaugeois (p. 153, 156, 161) C'est montrer qu'on peut se passer de l'histoire, comme Malraux. Il propose même une simplification exagérée en considérant que toute la philosophie de l'art du XXe s. est couverte par le partage entre « l'école “analytique” anglo-américaine » et « l'école d'esthétique continentale » (p. 76) et ne dit pas ce que sont ces deux écoles, supposant sans doute que le lecteur de Malraux est familier de ces raccourcis. Il faut bien admettre tout de même qu'une présentation de la pensée esthétique des adversaires de Malraux, si elle semble appelée par le sujet même, aurait nui à l'équilibre du livre qui propose un heureux parcours en neuf brèves étapes.

Une remarque très importante pour finir. Elle ne concerne pas le texte d'Allan qui constitue le premier ouvrage qu'il ait publié en français et qui ne souffre que de faiblesses fort mineures[1] –caractéristiques remarquables. Elle a trait à la manière dont le livre a été édité par Peter Lang. Le procédé par lequel on a coupé les mots en fin de ligne ignore totalement les exigences du français et le Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie nationale que suivent tous les bons éditeurs francophones.  Couper ainsi : aujo-urd'hui, sec-ond, Mex-ico, afr-icain, anci-ennes, mod-erne, empre-inte… (il y a des dizaines de cas du même type) dénote de la part de Peter Lang une sorte de désinvolture méprisante qu'il impose à l'auteur et au lecteur.

[1]    Une erreur de syntaxe là (« Il débute l'un de ses derniers paragraphes », p. 94), un anglicisme ici (« palace » mis pour « palais », p. 53).

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