Image of E/1971.04.05 — René Bernard : «Ces phrases de Malraux que vous n'avez pas entendues», «Elle», n° 1320, 5 avril 1971, p. 44-45.

E/1971.04.05 — René Bernard : «Ces phrases de Malraux que vous n'avez pas entendues», «Elle», n° 1320, 5 avril 1971, p. 44-45.

A l'occasion de la sortie de son livre Les Chênes qu'on abat (NRF), André Malraux a répondu le 15 mars (2e chaîne, 21 h. 30) à Jacqueline Baudrier. Quelques passages n'ont pu passer à l'antenne. Les voici.

 

La jeunesse

«Je m'étais dit, au début : “Mais pourquoi la question des hippies intéresse-t-elle le général de Gaulle ?” Je pensais plutôt à une raison, comment l'appellerais-je ? plastique. Les costumes, etc. Après j'ai compris que ce n'était pas du tout ça qui l'intéressait. C'était ce qui dans le mouvement hippy, est le refus de la civilisation, et sur un plan beaucoup moins politisé que, disons, la contestation de Mai. Je lui avais dit : “Je pense que l'une des notes les plus importantes de Nietzsche, au moment de devenir fou, c'est la note dans laquelle il dit : “Est-ce que le nihilisme ne va pas remplacer la religion ?” Est-ce que l'absurde ne peut pas jouer le rôle capital que jouait, dans l'âme humaine et notamment dans l'âme de la jeunesse, la religion aux siècles précédents ? La note de Nietzsche l'avait beaucoup frappé. Je crois qu'il était très frappé par le problème de la jeunesse dans son ensemble. Et là aussi, il ne voyait pas tellement de solutions. Je pense, en effet, que le problème de la jeunesse est immense et qu'il demande un examen extrêmement attentif, avec des données très différentes des unes des autres. En tout cas, le résumé est certainement celui-ci : ou bien une civilisation a une âme, et jusqu'à nous cette âme s'est appelée une religion, que ça nous plaise ou que ça ne nous plaise pas, et que ce soit dans l'Amérique précolombienne, en Chine, où on voudra; ou bien elle a une âme qui n'est pas une religion – je n'ai aucune objection à cette hypothèse – mais alors de quoi parlons-nous ?»

 

La démocratie

«La démocratie, telle que l'entendent, disons 80% des gens qui n'y ont pas du tout réfléchi, c'est… appelons ça une démocratie électorale. Cette démocratie électorale a eu, à une certaine époque de l'histoire, une importance considérable, mais elle n'est pas une chose éternelle. Nous n'allons évidemment pas expliquer le XIIe siècle par la démocratie électorale. Le sentiment du général de Gaulle, c'était déjà : “L'Etat nouveau, la nation nouvelle ne peuvent plus reposer sur l'ancienne démocratie. Il faut trouver autre chose.” De Gaulle était antitotalitaire, donc il n'y avait pas la solution Staline. Mais il pensait que si on arrivait à refaire réellement les nations sur des bases qui ne fussent pas le capitalisme ancien, on trouverait, par l'action même, la forme d'une autre démocratie.»


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