E/1972.03.03 — André Malraux : «Dans une interview à Jean Mauriac : André Malraux: “Le maoïsme, ce n'est plus la Longue Marche, c'est la sauvegarde de la Chine chinoise”», extrait d'un entretien accordé à Jean Mauriac, de l'Agence France Presse, La Nation [Paris], 3-4 mars 1972.
André Malraux
Dans une interview à Jean Mauriac :
«Le maoïsme, ce n'est plus la Longue Marche,
c'est la sauvegarde de la Chine chinoise»
«Nixon m'a reconduit à ma voiture et m'a dit alors, sans interprète : “Qu'aurait pensé le général de Gaulle de ce que je suis en train de tenter ?”
Avant même d'aborder le sujet de l'interview – la semaine que le président des Etats-Unis vient de passer en Chine – André Malraux tient à évoquer le souvenir du général de Gaulle.
— Qu'avez-vous répondu ?
— N'importe comment, le général de Gaulle penserait que lorsqu'un homme politique chargé d'histoire tente le destin, c'est bien. A l'époque où Nixon faisait, lui aussi, sa traversée du désert, de Gaulle l'avait reçu à l'Elysée et ils avaient parlé de la Chine. Lors de leur dernière entrevue, de Gaulle lui avait dit : «Vous ne pourrez pas ne pas poser le problème de la Chine. Il faut vous lancer dans cette histoire de fous…».
— Si de Gaulle avait vécu, s'il avait réalisé cette rencontre avec Mao Tsé-Toung…
— La sténographie eût été shakespearienne. La réalité eût été sans objet, puisque de Gaulle n'était plus au pouvoir. Mais on peut imaginer le dialogue superbe :
— Eh bien, quand vous étiez la Chine, il n'y avait pas de Chine… et Mao de répondre :
— Quand vous étiez la France, il n'y avait pas de France… Mao ne m'a jamais parlé de la France, il m'a parlé du général de Gaulle. Il pensait qu'il avait en lui un égal, plutôt un semblable.
Il l'aurait interrogé : j'ai fait la Longue Marche, et vous qu'avez-vous fait ? J'ai fait la Résistance, aurait répondu le général. Mao, cet empereur de bronze, pensait que de Gaulle était une sorte de réalité de l'Iliade (…).