«[Richard Nixon – André Malraux]», extrait de l'entretien du 14 février 1972, recréé par R. Nixon, dans Richard Nixon, Mémoires, trad. de l'américain par Michel Ganstel, Henry Rollet, France-Marie Watkins, Paris, éd. Internationales Alain Stanké, 1978, p. 409-411.
Richard Nixon
«[Richard Nixon – André Malraux]», (1978)
«Cette rencontre était inévitable, me répondit-il. — Même avec la guerre du Vietnam ? dis-je. — Mais oui, même en ce cas. L'action de la Chine au Vietnam n'est qu'une imposture. Il y a eu une période où l'amitié entre la Chine et la Russie était sans nuages, où les Chinois permettaient le passage des armes russes sur leur territoire vers le Vietnam. Mais la Chine n'a jamais aidé personne. Ni le Pakistan ni le Vietnam. La politique extérieure chinoise n'est qu'un mensonge brillant. Les Chinois n'y croient pas : ils croient uniquement en la Chine. La Chine seule !
«Pour Mao, poursuivit Malraux, la Chine est un continent. C'est une sorte d'Australie. Seule la Chine compte. Si la Chine doit recevoir le Sultan de Zanzibar, elle le fait. Ou le Président des Etats-Unis. Pour les Chinois, cela n'a pas d'importance.»
Je demandai à Malraux ses impressions sur Mao. «Il y a cinq ans, dit-il, Mao avait une crainte : que les Américains et les Russes, avec dix bombes atomiques, détruisent les centres industriels de la Chine et rejettent la Chine cinquante ans en arrière, à un moment où Mao lui-même serait mort. Lui-même me l'a avoué : “Quand j'aurai six bombes atomiques, personne ne pourra bombarder mes villes.”». Malraux me confia qu'il n'avait pas compris ce que Mao avait voulu dire par là. Il continua : «Alors Mao me dit : “Les Américains n'utiliseront jamais une bombe atomique contre moi.” Je n'ai pas compris cela non plus, mais je vous le répète, parce que, souvent, c'est ce que l'on n'a pas compris qui est le plus important.» Il ne posa aucune question à Mao à ce sujet, parce que l'on ne pose pas de question à Mao.
Malraux débordait de mots et d'idées :
«Vous allez traiter avec un colosse, mais avec un colosse qui est en face de la mort. La dernière fois que je l'ai vu, il m'a dit : “Nous n'avons pas de successeurs.” Savez-vous ce que Mao pensera quand il vous verra pour la première fois ? Il pensera : “Il est bien plus jeune que moi.”»
Le soir, au cours d'un dîner donné en son honneur, à ma résidence, Malraux me donna des conseils sur la façon de conduire une conversation avec Mao.
«Monsieur le Président, vous allez rencontrer un homme qui a eu une destinée fantastique et qui croit qu'il est en train de jouer le dernier acte de sa vie. Vous penserez sans doute qu'il s'adresse à vous, mais en réalité il sera en train de s'adresser à la mort… Cela vaut le voyage.»