Article n° 3, avril 2017 • J. F. R. Gnayoro : «Géocritique des espaces naturels chez Giono et Le Clézio»


 

|e-cahiers littéraires, article n° 3, avril 2017

 

Jean Florent Romaric Gnayoro

 

Géocritique des espaces naturels chez Giono et Le Clézio

 

Introduction

La nature est un pôle géographique qui est mis en scène chez Giono et Le Clézio. À ce titre, ces auteurs abordent la question de certaines propriétés particulières rattachées à l'espace naturel, plus ou moins calquées de la réalité environnante. Avec eux, la nature est un point localisable qui génère un effet de vraisemblance en tant que centre des actions. Appréhender ici la géocritique comme méthode d'approche des textes littéraires gioniens et lecléziens, c'est également inviter à mettre au premier plan l'espace géographique en tant que sujet d'étude. Pour le moins complexe, la géocritique est une méthode d'analyse du texte littéraire où l'espace géographique tient une place importante. Une telle conception trouve notamment ancrage dans les travaux de Bertrand Westphal sur la question. Pour lui, « la géocritique, contrairement à d'autres approches de l'espace en littérature telle que l'imagologie par exemple, vise à connecter plusieurs regards tournés vers un même lieu ». Il entend, de ce fait, la géocritique comme une étude critique permettant de traiter de l'espace, à partir du regard qui en est fait dans le texte. Avec les œuvres de Giono et de Le Clézio, il ressort que la géocritique s'articulera autour d'une critique d'inspiration mettant soit directement les textes avec le hors-texte, soit agissant par procuration, en établissant des rapports de textes à textes, en ce qui concerne, particulièrement leurs rapports à la nature.

1. La véracité de la nature chez Giono

Giono, même s'il s'inspire de la Provence reconnaissable à Aubignane, à Baumugnes, à Grémone, à la Durance, à la Lure évoqués dans ses œuvres, ne manque pas d'attribuer à la nature des vertus magiques. En effet, pour Philippe Hamon, « Les noms propres géographiques qui renvoient à des entités sémantiques stables, qu'il ne s'agit d'ailleurs pas tant de comprendre que de reconnaître comme noms propres fonctionnent donc un peu comme les citations du discours pédagogique : ils assurent des points d'ancrage […], permettent l'économie d'un énoncé descriptif, et assurent un effet de réel global ». Mais paradoxalement chez Giono, cet effet de réel semble s'effacer devant une nature magique qui se couvre de mystères. Si l'on croit Maurice Blanchot, il pourrait s'agir « d'amener les choses à se réveiller comme reflet et la conscience à s'épaissir en chose ». Justement, la découverte de La trilogie de Pan de Giono se mêle à la récurrence d'une certaine position de l'auteur où le réel laisserait place à une nature qui parlerait au cœur et à l'esprit des lecteurs. L'on se souvient notamment de Lacan qui voyait dans le langage un véhicule de la réalité inconsciente.

À ce titre, Colline, Regain et Un de Baumugnes développent une vaste tentative de Giono de donner au langage une structure ludique sinon plus évocatrice d'un monde désarticulé, mystérieux, qu'autre chose. En fait, il s'arrange à satisfaire un prétendu rapport entre la nature et une certaine personnalité qui lui serait intrinsèque mais dissimulée au commun des mortels à l'exception bien entendu de quelques privilégiés ou initiés. On se posera alors la question de savoir si avec Giono le langage sur la nature n'aurait pas pour fin de révéler un réel qui se blottirait insidieusement derrière un autre plus trivial à profusion. En effet, avec Giono le langage est mis à rude épreuve pour justement signifier, du moins sur ce qui a trait à la nature, une correspondance anthropomorphe. Ainsi peut-on dire que la nature s'humanise de plus en plus et se révèlerait à partir de la conscience qui perçoit et la représente. Ou serait-ce un prétexte pour Giono de donner un écho favorable au monde imaginaire qui habite les profondeurs de son inconscient ? La particularité tient ici au fait que l'auteur tout en s'inspirant de sa Provence natale en arrive à superposer réel et imaginaire dans un langage mêlé d'analogie au monde référentiel et à la poésie de la dérision ou de la rêverie. On le voit donc cette imbrication manifeste d'un réel et d'un surréel chez Giono au point, pour ainsi dire, d'asseoir une image transfigurée de la nature. On ne se trompe nullement en insistant ici sur la portée linguistique chez Giono qui concourt, de ce fait, à revisiter l'univers provençal sous le prisme de son rapport à un autre univers, cette fois-ci interne à l'auteur et sous-tendue par une pensée inconsciente.

 

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