Le bombardement du Jour de l'An
A Madrid, au Jour de l'An, on distribua les jouets qui, de tous les pays du monde, avaient été envoyés aux enfants espagnols. La distribution avait lieu au centre des arènes, les jouets amoncelés par petits tas, enchevêtrés comme des insectes.
Depuis une heure, les enfants passaient en silence devant ces petits tas où semblait s'être accumulée aussi l'affectueuse générosité de tous les coins du monde, quand commença l'éclatement des premières bombes. Une escadrille de Junkers bombardait.
Les bombes tombaient à six cents mètres. Le bombardement fut très court et les arènes sont très grandes. Quand les enfants qu'on évacuait arrivèrent aux portes des arènes, les avions étaient repartis et les enfants revinrent chercher les derniers jouets.
«Quand la distribution fut terminée, au centre des immenses arènes vides, il restait seulement un tas. Intact. Je m'approchai pour l'examiner : c'était le tas des avions-jouets. Il restait là, seul dans les arènes maintenant abandonnées et où n'importe quel gosse aurait pu venir. Les petits garçons avaient préféré n'importe quoi, même les poupées, et s'en étaient écartés, non avec peur, mais avec une sorte de mystérieuse horreur. Ce spectacle m'est resté dans la mémoire. Les fascistes et nous, nous sommes séparés à jamais par ce petit tas de jouets abandonnés.»
La terreur des bombardements aériens par les insurgés ébranle effroyablement les nerfs des enfants, et c'est ainsi toute une génération qu'on sacrifie.
Je sais du reste que toute guerre est violente. Je sais du reste qu'il peut arriver que la bombe d'un avion gouvernemental qui vise un objectif militaire, tombe à côté et blesse des civils. Ce sur quoi je veux attirer votre attention de la façon la plus formelle, et vous le lirez dans les journaux fascistes eux-mêmes, c'est que nous avons détruit l'aérodrome de Séville, nous n'avons pas bombardé Séville. Nous avons détruit l'aérodrome de Salamanque, nous n'avons pas bombardé Salamanque. J'ai détruit l'aérodrome d'Avila, je n'ai pas bombardé Avila. Mais voilà plusieurs mois que les fascistes bombardent chaque jour les rue de Madrid.
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© www.malraux.org / 5 octobre 2011. VERSION INEDITE