A propos de l'épigraphe de Sesshû donnée à La Corde et les Souris
Eléments de péritextualité malrucienne
On a déjà beaucoup glosé sur les titres des romans et des écrits sur l'art, suffisamment pour que l'on n'y revienne pas trop en détail ici. Pourtant ce qui couvre ces textes en les ouvrant précisément, ce qui en constitue une proposition de sens avant même qu'ils aient été parcourus par la lecture, cela qui constitue titres et sous-titres apporte au texte qu'il concerne, en même temps qu'une sorte de désignation fort pratique, une identification aussi précise que complexe de ce que peut promettre le livre. Par la charge de proposition qu'ils contiennent, ils anticipent sur le sens que le lecteur sera invité à donner au texte concerné, une fois celui-ci lu. C'est très élémentairement le cas de l'un du plus célèbre titre rhématique de Malraux (Antimémoires) qui exige du lecteur (à tort ou à raison) de lire le texte tout autrement que s'il s'agissait de Mémoires habituels. C'est, moins nettement parce qu'ils sont presque tous plus ou moins énigmatiques, le fait de tous les titres thématiques. Même La Voie royale qui emprunte sa formulation à cette route sacrée qui aurait mené, ponctuée de temples, à tel grand sanctuaire khmer, même La Voie royale demande à son lecteur de passer de la désignation référentielle à celle, métaphysique voire antiphrastique, qui concernera le destin humain. Même Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale se présente comme l'image ou l'illustration symbolique de ce que tel «musée imaginaire» peut ou pourrait être pour Malraux (tantôt selon les exigences des techniques – La Statuaire –, tantôt selon des critères spatio-temporels ajoutés au précédent – Des bas-reliefs aux grottes sacrées –, tantôt selon des nécessités culturelles – Le Monde chrétien). Même Goya impose tout de suite cet autre titre qu'est Saturne pour faire comprendre qu'il ne s'agit pas de considérer le livre comme une monographie consacrée à l'œuvre du peintre espagnol. Les autres tiendront tous de cette exigence que nous venons de rencontrer dans les quatre cas les plus simples et qui, feignant de la proposer, imposent un mode de lecture intégrant dans sa logique la nécessité du saut de signification qu'exige la métaphore. Si la plupart des titres thématiques sont de ce point de vue-là métaphoriques (La Condition humaine, Le Temps du mépris, La Lutte avec l'Ange, La Métamorphose des dieux, Lazare, etc.) d'autres demandent encore à leur lecteur (on l'a entrevu pour La Voie royale) d'associer à ce saut de référence celui d'un retournement de signification : ainsi Les Conquérants et L'Espoir sont-ils des romans d'échecs : échecs de Klein et de Garine, par exemple, ou échecs de l'«Illusion lyrique» et de l'«Apocalypse de la fraternité» ; ainsi Les Chênes qu'on abat… sont-ils l'évocation du pouvoir créateur de De Gaulle retiré comme vaincu à Colombey-les-deux-Eglises ; ainsi, mais d'une manière différente, de La Tête d'obsidienne qui évoque cette œuvre d'art aztèque qui manque à l'exposition de Saint-Paul-de-Vence, retenue qu'elle est dans son musée, le Musée national d’anthropologie de Mexico, où en réalité elle n'a jamais été présente puisqu'elle n'existe pas; ainsi encore de La Corde et les Souris et sans doute du titre le plus énigmatique de Malraux, Le Miroir des limbes.
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INEDIT © Présence d’André Malraux sur la Toile, www.malraux.org, texte mis en ligne le 17 février 2011. Séminaire Malraux, Sorbonne, 14 février 2011.
Illustration tirée du Ho-ji Hô-ten de V.-F. Weber (1923)