art. 174, mars 2016 • Henri Copin : «Hon Bach, l’âme en soie blanche»

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Où il est question de Bernard Bourotte (extraits). /

Et au milieu de l'image, et du groupe, cet homme singulier, très grand, voûté, cheveux blancs, aux sombres colères, qu'accompagne un persistant parfum d'opium. Ils étaient alors en seconde. Son nom resurgit soudain : Bourotte, jamais prononcé depuis ces temps lointains, mais soudain si présent. Bourotte aux colères comme une mousson, et à l'aura démesurée, on disait qu'il était un personnage d'un roman de Malraux, mais lequel ? À l'époque, ils connaissaient à peine les romans de Malraux, sauf peut-être un peu La Voie royale, qui n'avait pas encore sa couverture jaune au massacre de gaur étoilé de sang. Bourotte aux dents limées, comme font les Moïs, les « sauvages » de la forêt qui vont nus et savent capturer les éléphants. Bernard Bourotte, leur prof d'histoire. Il revoit son air détaché, un peu désabusé, avec sa diction traînante, la classe claire et largement ouverte au vent et aux oiseaux qui circulent. Bientôt, l'ami chinois repart. Il reviendra, ils se reverront, mais déjà les fils sont en place, qui ne cesseront de se renouer contre toute attente, avec l'évidence du hasard.

Lui, il reste, la vie suit son cours. Il retourne à son métier d'enseignant, à ses recherches, à ses publications. Il est associé à un réseau d'informations sur l'Asie, sous la houlette savante d'un professeur d'origine asiatique, Anh. Un jour, des années plus tard, il reçoit, parmi d'autres documents, un texte, en américain. C'est une brochure du Département d'État, destinée sans doute aux Forces spéciales, du temps qu'elles opéraient derrière les lignes viet-cong, pour organiser des maquis de Montagnards, c'est le terme qui a remplacé celui de Moïs, devenu politiquement non correct. Moïs veut dire sauvages, aujourd'hui on n'ose plus, les sauvages ont droit au respect anthropologique. On dit donc Montagnards, car ils vivent dans les montagnes du Sud-Viêt Nam et du Cambodge. Il parcourt le texte, c'est l'histoire de ces peuples, que l'Histoire, la grande, n'a guère épargnés. Instrumentalisés, exploités, roulés, décriés, enrôlés par les uns contre les autres, puis, bien plus tard, assommés de propagande déversée par des haut-parleurs encerclant leurs villages, les voici aujourd'hui dépossédés de leurs terres, réduits à des ornements folkloriques pour touristes en goguette, car ils sont beaux dans leurs tissus si follement ethniques.

Le document l'intrigue. Il découvre qu'il est traduit d'un texte français. Dont l'auteur se nomme… Bernard Bourotte ! Essai d'Histoire des Populations montagnardes du Sud-Indochinois jusqu'à 1945, publié en 1955 dans le savant Bulletin de la Société des Études Indochinoises. Anh, qui sait tout et trouve le reste, lui procure la notice nécrologique qu'un ancien disciple indochinois rédigea en hommage posthume à cet homme qui décidément cachait son jeu… Il découvre ainsi que Bourotte avait aussi une épaisseur humaine, une carrière, une vie (1896-1968), une famille, un drame intime. Un homme, quoi, avec une vie en dehors du lycée. Cet autre fil, totalement imprévu, vient se tisser au précédent pour ajouter d'un coup une épaisseur insoupçonnée, et attester que Bourotte fut plus que ce qu'il paraissait être. Paradoxe, il prend vie. Une question apparaît : que signifie cet intérêt, à cette époque, pour les Montagnards sauvages, rebelles, méconnus, fascinants ?

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