Art. 245, juillet 2019 | document • «Variétés sur les pays Moïs», Gouvernement de la Cochinchine, 1935. Cinq extraits.

Généralités sur les Moïs (pages 43-45)

[…] L'histoire annamite, le raisonnement, des monuments dont les ruines subsistent encore s'accordent à démontrer qu'il a existé autrefois, dans la partie supérieure de la vallée du Dong-naï, de celle du Song-bé et dans les diverses régions occupées ou parcourues aujourd'hui par des tribus sauvages, pour la plupart indépendantes, un ou plusieurs Etats jouissant d'une civilisation avancée, ayant le goût des arts très développé et notamment celui de l'architecture et de la sculpture.

Comment ces Etats ont-ils été détruits d'une façon si complète qu'il n'en reste plus aucune trace, que leur langue même semble inconnue de ceux qui, en ces mêmes lieux, vivent aujourd'hui errants et misérables.

Des hommes dont l'opinion fait autorité en cette matière se sont refusé à admettre que les Moïs actuels puissent être les descendants de ces anciens peuples, détruits par une cause ignorée. Si l'on s'en tenait, en effet, d'une façon absolue, au jugement que l'on porte habituellement sur ces populations, il paraîtrait impossible qu'un peuple puisse occuper, dans l'échelle de la civilisation, un rang inférieur à celui qu'y tiennent les Moïs. Il me semble, pourtant, qu'il n'y a là qu'une difficulté apparente.

La lecture de l'histoire des peuples qui ont laissé des chroniques, celle des Juifs en particulier, épouvante lorsqu'on songe à la férocité avec laquelle ils faisaient la guerre. A chaque page de la Bible, tel ou tel prophète fait attaquer, au nom de la divinité, quelque peuple voisin. On tue tous les hommes, toutes les femmes, tous les enfants; les vierges seules sont gardées pour être réparties entre les combattants. D'immenses capitales, comme Ninive et Babylone, disparaissent d'un seul coup, on pourrait dire en une seule nuit, et le désastre est si complet que l'antiquité oublie la place même qu'elles avaient occupée. Il faut la science contemporaine pour retrouver la première de ces cités sous des monceaux de cendres et de décombres. Après de pareils exemples, est-il donc étonnant que de petits royaumes comme ceux dont nous parlons aient pu disparaître sans laisser de traces ?

Je suppose donc que c'est à la suite d'un désastre analogue que ces royaumes ont été anéantis. Ni la peste, ni un tremblement de terre, ni tout autre fléau naturel n'a détruit ces nations : c'est une armée conquérante ! Alors la mort a succédé à la vie, le silence et la solitude ont régné là où auparavant s'élevaient des cités puissantes habitées par un peuple policé et ami des arts.

Or, quelques rares habitants de ces villes ont pu échapper au massacre; fuyant dans les forêts, sans recours, sans armes, sans outils, ils se sont vus contraints de soutenir le combat pour la vie matérielle et dans cette préoccupation de tous les instants, ils ont dû retourner bien vite à l'état de nature. Qu'on se les représente, en effet, nus, isolés, traqués par leurs vainqueurs qui voulaient les réduire en esclavage; obligés, pour cultiver le sol, de s'emparer des buffles sauvages, sans armes pour se défendre contre les bêtes féroces ! Comment, lorsque la vie matérielle était si difficile, auraient-ils pu songer à la vie intellectuelle ?

Le plus grand nombre de ces malheureux succomba sans doute sous le poids accumulé de tant de causes de mort; d'autres, plus heureux, ayant pu peut-être sauver avec eux leur famille, adoptèrent alors le genre de vie que mènent aujourd'hui les Moïs.

La nécessité de vivre fait négliger toute considération de morale ou d'humanité. C'est pour cela que l'état de guerre est l'état naturel des peuples sauvages, qui sont dénués de tout ce qui est nécessaire à la vie. La guerre dans ce cas est un acte rigoureusement logique par lequel on enlève à son voisin ce dont on manque soi-même. Voilà pourquoi nous voyons aujourd'hui si souvent des tribus de sauvages s'exterminer les unes les autres. […]

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