D/1962.05.22 — André Malraux : «Intervention au Sénat»

«[Intervention au Sénat, 2e  séance du 22 mai 1962]», intervention au cours de la discussion du projet de loi de programme relatif à la restauration des grands monuments historiques. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Sénat [Paris], n° 13 S, 23 mai 1962, p. 280-281, 286-287, 288, 289.


 

André Malraux

Intervention au Sénat – 2e séance du 22 mai 1962

 

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, je croyais avoir répondu à certaines objections qui seraient formulées à la tribune par les rapporteurs, mais peu importe que ces objections aient été ou non posées à la tribune; ce qui compte, et je me fonde sur la lecture des rapports, c'est qu'elles soient dans l'esprit d'un certain nombre de sénateurs.

Plusieurs d'entre vous, surtout au sein de la commission des finances, ont posé des problèmes que nous pouvons synthétiser de la façon suivante : si la loi de programme est adoptée, est-ce que le Gouvernement aura les moyens de l'appliquer ? Je réponds : sans aucun doute, il les aura. Je ne dis pas qu'il les a d’une façon parfaite; mais, dans la mesure où il les a, il les appliquera; dans la mesure où il ne les a pas, la loi de programme concourra à les lui donner.

[…]

Puisque nos monuments historiques, s'ils ne doivent pas sombrer à jamais dans la guerre, doivent pouvoir être transmis aux générations futures et puisque la loi qui nous est soumise aujourd'hui est, je le répète, une loi historique, je voudrais donc en préciser maintenant l'esprit.

Tous les Etats savent aujourd'hui qu'une puissance mystérieuse de l'esprit, qui se confond peut-être avec celle qui assure la survie des grandes œuvres et exprime obscurément l'âme des peuples, affronte dans l'ombre les visages de la misère et du malheur. Il est vain d'opposer l'une aux autres; ce n'est pas à ces visages que nous devons opposer notre action, c'est à l'action des autres nations. Il n'est pas concevable que la France néglige Reims et Versailles quand les Etats-Unis et le Brésil protègent leur architecture d'avant-hier, quand le Mexique restaure ses pyramides aztèques et la Russie ses églises, quand l'Egypte, par la voix d'un Français, fit appel au monde pour sauver ses temples menacés par le barrage du Nil.

Les monuments que vous allez, je l'espère, sauver, ne les définissons pas par ce dont ils sont nés. Ils ont subi une immense métamorphose. Vincennes n'est plus pour nous, comme pour le XIXe siècle, une forteresse féodale, ni Versailles un lieu de plaisir des rois. Châteaux, cathédrales, musées sont les jalons successifs et fraternels de l'immense rêve éveillé que poursuit la France depuis près de mille ans.

Chefs-d'œuvre, sans doute; lieux de beauté que nous devons transmettre comme ils nous ont été transmis; mais quelque chose de plus, qui est précisément l'âme de ce grand rêve. Nous savons bien que nous n'avons pas reçu la charge de Vincennes comme celle d'un quelconque donjon; la charge de Versailles comme celle d'un château magnifique parmi d'autres. Notre histoire, comme toutes les histoires, recouvre le long cortège de sang et d'avidité que suscite l'inépuisable passion des hommes; mais, si elle est une histoire, et non ce cortège sanglant, ce n'est pas seulement par l'énergie des rois rassembleurs de terre, c'est aussi par ce qui fit la France aux yeux du monde; car la France n'a jamais été plus grande que lorsqu'elle combattait pour tous et, de Vincennes au musée des Invalides, l'appel désespéré des Croisés de Mansourah renaît dans les chants des soldats de l'an II…

 

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