De la Communauté française à la Francophonie

Brève histoire de la Communauté franco-africaine

 

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 L’Empire français

 

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  Le discours de Brazzaville (30 janvier 1944) : de l’Empire Français à l’Union Française (1946)

 

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  La Constitution de 1958 : de l’Union Française à la Communauté franco-africaine

 

Au moment de la proclamation de la Ve République, l’Union française (succédant à l’Empire colonial français en 1946) se transforme en Communauté française. C’est une fédération présidée par la France (le Président de la République) groupant les anciennes colonies et les protectorats. Tous les Etats africains consultés en 1958 approuvèrent la Constitution de 1958, donc la création de la Communauté, et en devinrent membres – à l’exception de la Guinée qui accéda à l’indépendance tout de suite.

La Communauté est créée officiellement le 4 octobre 1958 avec l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution instaurant la Ve République. L’article premier est ainsi rédigé : «1. La République et les peuples des Territoires d’Outre-Mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution instituent une Communauté. / 2. La Communauté est fondée sur l’égalité et la solidarité des peuples qui la composent.»

Et l’article 86 : «1. La transformation du statut d’un État membre de la Communauté peut être demandée soit par la République, soit par une résolution de l’assemblée législative de l’État intéressé confirmée par un référendum local dont l’organisation et le contrôle sont assurés par les institutions de la Communauté. Les modalités de cette transformation sont déterminées par un accord approuvé par le Parlement de la République et l’assemblée législative intéressée. / 2. Dans les mêmes conditions, un État membre de la Communauté peut devenir indépendant. Il cesse de ce fait d’appartenir à la Communauté.» (Texte disponible sur le site du Sénat.)

Le 4 juin 1960, l’article 86 est complété par trois alinéas dont ceux-ci : «3. Un Etat membre de la Communauté peut également, par voie d’accords, devenir indépendant sans cesser de ce fait d’appartenir à la Communauté. / 4. Un Etat indépendant non membre de la Communauté peut, par voie d’accords, adhérer à la Communauté sans cesser d’être indépendant.» (Télécharger la loi du 4 juin 1960.)

Entre février 1959 et mars 1960, soit avant ce que Michel Debré appela la «ruée vers les indépendances», le Conseil exécutif de la Communauté (conférence des chefs d’Etat) se réunit six fois : quatre fois à Paris, une fois à Tananarive (juillet 1959), une fois à Saint-Louis du Sénégal (décembre 1959). Le premier Conseil définit les symboles de la Communauté : hymne, drapeau, devise.

Même si les alinéas de 1960 tentent d’adapter la Communauté aux changements qu’elle a elle-même permis, il semble bien que la nouvelle institution n’eût pas vocation de durer. Tous les Etats d’Afrique noire devinrent indépendants en près de deux ans, et cela «sans rupture économique» (Coquery-Vidrovitch 1974 : 229), précisément grâce à elle. Les «organisations économiques, administratives et financières» (Malraux, «Discours de Libreville», 16 août 1960) étaient en place : les structures qui permettent à un Etat de se développer et de s’affirmer étaient acquises.

Dès 1962, les articles constitutionnels concernant la Communauté sont jugés caducs par le Premier Ministre, Michel Debré. Ce n’est étonnamment qu’en 1993 qu’ils seront abrogés.  

 

Document de l’INA : «Ouverture de la 1re session du Sénat de la Communauté» (1959)

Document de l’INA : «Le Conseil exécutif de la Communauté (5e session). (1959)


 

france  

  
guinée

  

Guinée (Conakry)

mali  
madagascar     
camenrou

République du Mali (1959-60)

Madagascar

Cameroun

senegal  togobenin

Sénégal

Togo

Bénin

 nigerburkina fasocote d ivoire

Niger

Burkina Faso

Côte d’Ivoire

 tchadcentrafriquecongo

Tchad

République Centrafricaine

Congo

 Gabonmali mauritanie

Gabon

Mali

Mauritanie

 

Chronologie des 13 indépendances africaines de 1960

En 1958, la Guinée de Sékou Touré refuse la Constitution et la Communauté. Elle accède donc immédiatement à l’indépendance.

En décembre 1959, la Fédération du Mali (territoires de l’ancien Soudan français – le Mali – et du Sénégal) et Madagascar décident de leur indépendance En 1960, c’est le tour de treize Etats africains :

  1. Cameroun (1er janvier), 
  2. Sénégal (4 avril),
  3. Togo (27 avril),
  4. Dahomey (1er août) – appelé Bénin depuis 1975,
  5. Niger (3 août),
  6. Haute-Volta (5 août) – appelée Burkina Faso depuis 1984,
  7. Côte d’Ivoire (7 août),
  8. Tchad (11 août),
  9. République Centrafricaine (13 août),
  10. Congo (15 août),
  11. Gabon (17 août),
  12. Mali (22 septembre),
  13. Mauritanie (26 novembre).

afrique

 afrique francophone
 Colonies françaises d’Afrique NoireAfrique francophone. (L’Algérie n’est pas encore membre de l’OIF.)

 


Vers la Francophonie

Il y a tout lieu de penser que les premières institutions de ce qui sera appelé plus tard la Francophonie succèdent spontanément à la Communauté (du moins du côté africain), malgré les fortes réticences du général de Gaulle et de la France. En effet, l’idée et les projets étaient dus à l’initiative de chefs d’Etat du sud, tel Léopold Sedar Senghor qui déclara plus tard : «Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française». Habib Bourguiba (Tunisie), Hamani Diori (Niger) et le prince Norodom Sihanouk (Cambodge) s’étaient associés à Senghor. Il ne s’agit plus alors d’entretenir des liens politiques commandés par la France, mais de participer à une communauté culturelle, voire spirituelle (Senghor), dont l’élément fédérateur est la pratique du français. La République française se sera plus désormais, dans ce vaste ensemble de fraternités, qu’un Etat comme les autres. En effet, ainsi que l’a rappelé Malraux le 17 février 1969 à Niamey, «La culture ne connaît pas de nations mineures, elle ne connaît que des nations fraternelles.»

Ainsi en 1960 est créée la première institution intergouvernementale francophone (la Conférence des ministres de l’Education). A Niamey en 1969 a lieu la première «Conférence des pays entièrement ou partiellement de langue française». La réunion est ministérielle et Malraux, acquis à l’idée culturelle francophone, représente la France. (Voir <Les souvenirs de Niamey de J.-M. Léger>.) Le 20 mars 1970, à Niamey à nouveau, la Conférence crée l’Agence de coopération culturelle et technique : c’est l’acte de naissance de ce que nous appelons aujourd’hui l’Organisation Internationale de la Francophonie, la Francophonie institutionnelle. – Raison pour quoi le 20 mars a été institué Journée internationale de la Francophonie.

[Document de l’INA : Ouverture de la «Conférence francophone» à Niamey, 17 mars 1970.]

Notons toutefois que les réticences françaises à l’endroit de la Francophonie naissante étaient certainement dues au fait que la nouvelle structure et son inspiration culturelle contrevenaient clairement au dessein mondial de De Gaulle. Les conditions de la transformation de la Communauté en Indépendances n’assuraient-elles pas en effet, ainsi que l’écrit Jean-Pierre Dozon, à la «grande famille franco-africaine une dimension véritablement mondiale, pouvant peser sur le destin de la planète et jouer effectivement sa propre partition entre le monde anglo-américain et le bloc soviétique» ? (Dozon 2003 : 251)

Même si la tentation d’instrumentaliser la Francophonie au bénéfice de la politique française ou d’autres lobbies politiques (les relations qu’entretiennent plusieurs membres avec le monde arabo-musulman) a pu exister (certaines absences dans l’OIF semblent significatives : l’Etat de Louisiane, Jersey, l’Algérie, les communautés francophones isolées du Canada et des Etats-Unis, Israël, la Généralité d’Aoste, les sept cantons francophones suisses…), l’Organisation se réfère courageusement et inlassablement aux idéaux culturels et humanistes de ses fondateurs.

 

       rf                 francophonie
       Armes de la République française                  Emblème de la Francophonie

 

La cérémonie de la remise des drapeaux,

14 juillet 1958

 

Le Miroir des limbes, in Œuvres complètes, t. III, Pléiade, p. 138 :

Malraux est à New Delhi, chez Nehru, le 3 ou le 4 décembre 1958.

«Quand avais-je éprouvé à ce point le sentiment d’assister à un spectacle dont les convives allaient disparaître à l’aube ? C’était l’atmosphère des gouvernements provisoires, des  caprices du destin. Rien de l’occupation des palais illustres par les révolutions embourgeoisées, mais rien non plus d’un gouvernement de l’Inde. Même si l’aube était lente à venir, elle viendrait un jour avec les hommes peints de cendre blanche, avec les hordes d’intouchables brandissant leurs torches — ou avec l’éternel Islam qui pense que «la honte entre dans la maison avec la charrue». Nehru répondait banalement au speech banal d’un ministre des Affaires étrangères scandinave, et je me répétais : quand ai-je éprouvé ce sentiment d’assister à un spectacle condamné, avec ce sentiment de «déjà» vu ? C’était à l’hôtel de Beauharnais, devenu ministère de la coopération, et dont les cariatides de Bonarparte soutiennent le fronton. Les grands chefs de l’Afrique centrale, venus pour la remise des drapeaux de la Communauté, gravissaient marche à marche le perron. La foule parlementaire s’écartait devant leurs costumes de ténèbres et devant les griots qui chantaient à reculons la gloire de leur race…»

 

Le 14 juillet 1958, eut lieu à Paris une cérémonie solennelle par laquelle la France remit, aux Etats d’Afrique noire qui avaient accepté le référendum, les grands drapeaux tricolores de la Communauté sur lesquels étaient figurées deux mains s’unissant. (Malraux fait allusion à ce symbole dans les discours qu’il a prononcés juste avant les déclarations d’indépendance des pays d’Afrique équatoriale. Voir par exemple celui de Libreville.)

 

Petit excursus à propos des «deux-mains»

Le symbolisme de deux mains unies est fort ancien : il y figure sur des pièces frappées par l’empereur romain Nerva (fin du Ier siècle) accompagné de la devise : «Concordia exercituum» (la concorde des armées). Les deux mains se joignent devant un trophée, une victoire ou plus fréquemment un caducée, lui-même considéré volontiers comme symbole de paix et de concorde. D’autres pièces, par exemple celles que frappa Vittelius, portent au revers deux mains jointes accompagnées de la devise «Fides exertituum» (la loyauté des armées).

Tacite, au livre II de ses Histoires, note : «le centurion Sisenna, au nom de l’armée de Syrie, portait aux prétoriens les mains jointes, symbole de concorde» (VIII); plus haut au livre Ier : «La cité des Lingons, d’après un ancien usage, avait envoyé en présent aux légions [de Haute-Germanie] deux mains entrelacées, symbole d’hospitalité.» (LIV).

L’Encyclopédie de Diderot, dans son tome IX, propose cet article : 

Mains-jointes. (Art numismat.) Le type de deux mains-jointes est fréquent sur les médailles latines & égyptiennes ; il a pour légende ordinaire concordia exercituum. En effet, Tacite nous apprend que du tems de Galba, c'étoit une coûtume déja ancienne, que les villes voisines des quartiers des légions leur envoyassent deux mains-jointes en signe d'hospitalité : miserat civitas Lingonum, vetere instituo, dona legionibus, dextras hospitii insigne. Et pendant la guerre civile d'Othon & de Vitellius, Sisenna, centurion, porte de Syrie à Rome aux prétoriens des figures de main droite pour gage de la concorde que vouloit entretenir avec eux l'armée de Syrie : centurionem, Sisenna dextras, concordioe insignia, syriaci exercitûs nomine ad proetorianos ferentem. Ces symboles étoient représentés en bas-relief sur l'airain & sur le marbre, qui devenoient dignes de l'attention des princes, quand ces monumens avoient pour objet les affaires publiques ; les particuliers mêmes ornoient de ces figures les monumens de famille. Sur un marbre trouvé dans l'ancien pays des Marses, se voyent deux mains-jointes pour symbole de la foi conjugale, & au-dessus une inscription donnée par M. Muratori : D. M. S. Q. Ninnio, Q. F. strenuo Seviro aug. titecia januaria conjugi B. M. F. & sibi . (D. J.)
Voir ce texte de l’Encyclopédie en ligne.

monnaie                                   
vittelius
 revers d’une pièce de Nerva revers d’une pièce de Vittelius

 

 

Ce symbole sera parfois repris en héraldique : il est un meuble qu’on nomme alors foi. Certains francs-maçons en feront aussi usage.

              blason                    symbole

 

Au XIXe siècle, chacun des termes de la devise de la République était parfois accompagné de ces trois symboles : le bonnet phrygien (ou le faisceau de licteur) pour la liberté, le niveau (ou la balance) pour l’égalité et deux mains s’étreignant pour la fraternité. (Voir l’article «Symbole» du Trésor de la Langue française, en ligne TLF informatisé, URL : <www.cnrtl.fr>.)

 

RF

La Communauté franco-africaine reprendra le symbole des deux mains figurant devant les hampes de drapeaux tricolores.

 

       mains          sport
       Rite civil          Rite sportif

 

Texte en cours d’élaboration

 


Le discours de Niamey, 17 mars 1969

 

Extraits du discours de Malraux :

Notre culture commune, c’est ce que nous choisissons pour permettre à notre civilisation de lutter contre ces usines de rêves ; ce qui permet de fonder l’homme lorsqu’il n’est plus fondé sur Dieu. Ainsi, sa fonction, dans notre civilisation, apparaît-elle clairement. Et avec elle, l’absurdité du problème qui se pose depuis cinquante ans, celui de la rivalité des cultures vivantes. Il est sans intérêt de chercher si nous devons préférer la culture française à l’anglaise, l’américaine, l’allemande ou la russe. Parce que nous pouvons connaître – nous devons connaître – d’autres cultures que la nôtre ; mais nous ne les connaissons pas de la même façon. Le colonel Lawrence disait par expérience que tout homme qui appartenait réellement à deux cultures (dans son cas, l’anglaise et l’arabe) perdait son âme. Pour atteindre la culture mondiale – ce qui veut dire aujourd’hui, pour opposer aux puissances obscures les puissances d’immortalité – chaque homme se fonde sur une culture, et c’est la sienne. Mais pas sur elle seule.   

Nous ne voulons pas plus d’un héritage français que d’un héritage américain ou russe ; mais nous voulons que la culture française retrouve, en nous tous, ce qui fit sa grandeur passée, la confiance en tous les hommes qu’elle a marqués par sa longue traînée d’espoir révolutionnaire, de tombeaux et de cathédrales. Il y a dix ans que j’ai proclamé, au nom de mon pays, devant l’Acropole illuminée pour la première fois : « La culture ne connaît pas de nations mineures, elle ne connaît que des nations fraternelles.»

Seule, la culture francophone ne propose pas à l’Afrique de se soumettre à l’Occident en y perdant son âme; pour elle seule, la vieille Afrique de la sculpture et de la danse n’est pas une préhistoire; elle seule lui propose d’entrer dans le monde moderne en lui intégrant les plus hautes valeurs africaines. Nous seuls disons à l’Afrique, dont le génie fut le génie de l’émotion, que pour créer son avenir, et entrer avec lui dans la civilisation universelle, l’Afrique doit se réclamer de son passé. Nous attendons tous de la France l’universalité, parce que, depuis deux cents ans, elle seule s’en réclame.  

 

Vers notre page «Archives : «Discours de Niamey».

Télécharger le discours de Niamey.

 

 

En cours d’élaboration

 


 

Eléments de bibliographie

  • AGERON, Charles-Robert; MICHEL, Marc [édit.], L’Afrique noire française : l’heure des Indépendances, préf. de F. Bédarida, Paris, CNRS éditions, 1992.
  • COQUERY-VIDROVITCH, C.; MONIOT, H., L’Afrique noire de 1800 à nos jours, Paris, PUF, 1974, (coll. «Nouvelle Clio»).
  • DORRE-AUDIBERT, Andrée, Une décolonisation pacifique : chronique pour l’histoire, Paris, Karthala, 1999.
  • DOZON, Jean-Pierre, Frères et sujets. La France et l’Afrique en perspective, Paris, Flammarion, 2003.
  • DROZ, Bernard, Histoire de la décolonisation au XXe siècle, Paris, Seuil, 2006, (coll. «L’univers historique»).
  • DROZ, Bernard, La décolonisation, Paris, La Documentation française, 2008, («Documentation photographique», dossier n° 8062, mars-avril 2008)
  • FOYER, Jean, «La genèse des quinze Etats souverains», in L’Etat africain à l’aube du IIIe millénaire, Paris, Economica, 2006.
  • GAILLARD, Philppe; FOCCART, Jacques, Foccart parle : entretiens avec Philippe Gaillard, 2 vol., Paris, Fayart – Jeune Afrique, 1995-1997.
    Voir un extrait sur Malraux, rubrique «Témoignages et opinions» : Jacques Foccart.
  • MESSMER, Pierre, Les Blancs s’en vont : récits de décolonisation, Paris, A. Michel, 1998.
    Voir un extrait ici même, rubrique «Témoignages et opinions» : Pierre Messmer.
  • MIGANI, Guia, La France et l’Afrique sub-saharienne, 1957-1963 : histoire d’une décolonisation entre idéaux eurafricains et politique et puissance, Bruxelles, Peter Lang, 2008, (coll. «Euroclio», n° 41).
  • PEAN, Pierre, L’homme de l’ombre : éléments d’enquête autour de Jacques Foccart, l’homme le plus mystérieux et le plus puissant de la Ve République, Paris, Fayard, 1990.
  • RIOUX, Jean-Pierre, Dictionnaire de la France coloniale, Paris, Flammarion, 2007.
  • STAMM, Anne, L’Afrique, de la colonisation à l’indépendance, Paris, PUF, 2003, (coll. «Que sais-je ?»)

 

Sur la Toile :

  • MICHEL, Marc, «Au travers des archives Foccart. Les relations franco-africaines de 1958 à 1962», Les Cahiers du Centre de recherches historiques, n° 30, 2002. Texte en ligne, URL : <http://ccrh.revues.org/index592.html>.

 

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