André Malraux
Intervention à l'Assemblée Nationale, 17 novembre 1959
Présentation du budget des Affaires culturelles
Extraits :
Pour la retraite des écrivains, je répondrai longuement et par écrit. La question est extrêmement sérieuse et le rapporteur qui l’a soulevée a eu bien raison de le faire. Il aurait pu ajouter quelque chose d’aussi grave : la situation des veuves des écrivains. Mais il ne faut pas oublier que si la caisse des lettres est un instrument excellent, elle ne dispose encore que de moyens limités et qu’il est extraordinairement difficile, non pas de savoir qui est écrivain, car la gloire y suffit parfois, mais de savoir qui n’en est pas un.
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Quant aux plaisanteries qui viennent nous faire croire ou tenter de nous faire croire que nous voulons faire avaler la tragédie aux Français, je rappelle à l’Assemblée, ce que j’ai dit dans une conférence de presse : le président des amis de Labiche est le Premier ministre Michel Debré et j’ai eu également quelques relations avec Labiche ; vous aussi.
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Nous arrivons aux maisons de la culture, ce qui me conduit à évoquer, ainsi que les rapporteurs me l’ont demandé, les grandes orientations de la culture dans le monde que nous connaissons. Mesdames, Messieurs, les orientations sont au bout du compte très claires. En premier lieu, nous sommes en face d’une transformation de la civilisation mondiale, qui n’échappe à aucun de vous. Ce siècle verra l’héritage entier du monde passer dans les mains de quelques nations.
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Cela veut dire qu’il faut que, par ces maisons de la culture qui, dans chaque département français, diffuseront ce que nous essayons de faire à Paris, n’importe quel enfant de seize ans, si pauvre soit-il puisse avoir un véritable contact avec son patrimoine national et avec la gloire de l’esprit de l’humanité.
Il n’est pas vrai que ce soit infaisable; c’est presque assez facile et bien d’autres choses sont plus difficiles.
L’enseignement peut faire qu’on admire Corneille ou Victor Hugo. Mais c’est le fait qu’on les joue qui conduit à les aimer. La culture est ce qui n’est pas présent dans la vie, ce qui devrait appartenir à la mort. C’est ce qui fait que ce garçon de seize ans, lorsqu’il regarde peut-être pour la première fois une femme qu’il aime, peut réentendre dans sa mémoire, avec une émotion qu’il ne connaissait pas, les vers de Victor Hugo :
Lorsque nous dormirons tous deux dans l’attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau…
Il y a un héritage de la noblesse du monde et il y a notamment un héritage de la nôtre. Que de tels vers puissent être un jour dans toutes les mémoires françaises, c’est une façon pour nous d’être dignes de cet héritage, c’est exactement ce que nous voulons tenter.
Mesdames, Messieurs, c’est ce que je tente en votre nom. Je sais que ce que je souhaite est ce que vous souhaitez tous. Je vous remercie de le souhaiter. Je vous remercie de me faire confiance pour l’accomplir, au nom des occupations qui ont rempli ma vie.
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