1961/10/26 • André Malraux : «Intervention à l’Assemblée Nationale, 26 octobre 1961»

André Malraux

 

Intervention à l'Assemblée Nationale, 26 octobre 1961

Présentation du budget des Affaires culturelles

 

Extraits :

Mais ce que nous pouvons savoir avec certitude, c’est le nombre des visiteurs qui sont allés au musée du Louvre : ils étaient 580'000 en 1938 et cette année, ils ont été 1’750'000…

Ai-je besoin de vous dire que ces chiffres sont très impressionnants ? Dans le monde, depuis l’année dernière, le nombre des entrées dans les musées a dépassé le nombre des entrées dans les stades et à Paris, depuis un mois, il y a plus de galeries de peinture que de cinémas. Le problème que vous avez posé est donc très important et nous le retrouverons puisqu’un de mes interlocuteurs a posé le problème de savoir si l’art demeure ou non un luxe.

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L’art ne sera bientôt plus un problème de luxe. Ce n’est même plus un problème politique. Il ne s’agit plus de faire que ceux qui sont les plus pauvres puissent aussi connaître l’art. L’art est en train de devenir un immense problème sociologique. Le fait mystérieux, c’est que très simplement, il y a cent ans, même pour un très grand artiste, un objet d’art, un tableau riche, c’était quelque chose qu’on possédait. Si on n’était pas assez riche, on allait au Louvre, mais c’était bien dommage car, c’était la collectivité alors qui possédait et c’était tout de même un peu une tare. Mais, à l’heure actuelle, c’est absolument fini. En définitive, la moitié des gens qui aiment la peinture possèdent extrêmement peu de tableaux. Ils vont dans les musées ou, tout bonnement, ils vont voir les vitrines des marchands de tableaux. La possession est donc en train de devenir viagère. Considérez les collections américaines. Il n’y en avait pas une, l’année dernière, qui, après deux générations, n’ait pas été remise à un musée. C’est dire que, à l’heure actuelle, la notion de possession de l’objet d’art est en train de disparaître.

Je n’ai pas besoin de vous dire que cela va extrêmement loin parce que l’art gothique ou l’art roman étaient des arts que personne ne possédait. Ce qui est en train de se produire de nouveau, c’est un art qu’on ne possède pas, alors que ce qu’on a appelé « art », pendant tout le temps du luxe, c’était le tableau qu’on mettait à son mur.

Les conséquences sont considérables, trop considérables pour que j’insiste.

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Nous avons envisagé, les unes après les autres, beaucoup de questions. Comme vous l’avez constaté, ce que je souhaitais lorsque je me suis présenté devant vous pour la première fois est devenu si habituel entre nous que nous n’avons pas tellement envie ni besoin d’y revenir.

Un seul d’entre vous a repris quelques-unes de mes phrases sur « la culture pour le plus grand nombre d’hommes ».

Sur tout cela, nous sommes d’accord et, au fond, la question que nous nous posons maintenant est : « Qu’est-ce que nous faisons ? » et non pas tellement : « Qu’est-ce que nous voulons faire ? »

Sur ce que nous voulons faire, eh bien ! à la vérité, en dépit de tout ce qui, politiquement, nous divise, en dépit de tout ce qu’on peut dire à cette tribune, sur le fond, d’une extrémité à l’autre de cet hémicycle, nous sommes d’accord : personne ici, ne pense que la culture n’a aucune importance.

 

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