Prix malraux.org 2018, ex aequo.
Plus de quarante ans après sa mort, André Malraux (1901-1976) reste une figure qui a marqué le XXe siècle, notamment par la profonde réflexion sur l'art qu'il amorce dès les années 1920 et qu'il poursuit toute sa vie. Sa considération sur l'art a souvent été associée à la période de l'après-guerre car ses essais ont été en majorité publiés à la suite de celle-ci. Pourtant, l'art a nourri l'intérêt et la passion de l'auteur dès son plus jeune âge. La création artistique étant au cœur de sa pensée, il dit : « Tout grand art, même moderne – surtout moderne – ressuscite avec l'art du passé la voix éternelle de l'artiste ». Concerné par les nouveaux médiums tels que la photographie, le cinéma, la radio et la télévision, ainsi qu'aux questions de reproductibilité qui leurs sont intrinsèquement liées, Malraux défendra publiquement ces enjeux lors de congrès internationaux. Pour lui, la reproduction est « une ouverture, un décloisonnement salutaire du domaine artistique en général». Depuis leur invention à la fin du XIXe siècle, les images font désormais partie de ce qu'il nomme notre « héritage culturel » et ne cesse de prendre une place de plus en plus importante. Ses divers statuts d'écrivain, de critique, de directeur artistique ou encore d'homme politique parmi d'autres encore ont autant caractérisé le personnage que la complexité de sa pensée. Si bien qu'entre tous ses rôles, les considérations sur son œuvre sont multiples et variées. Nous l'envisageons dans cette présente étude comme un érudit ayant marqué la réflexion sur l'art, le musée et le rôle de ce dernier dans notre rapport aux œuvres.
Au cœur de sa pensée, l'ouvrage Le Musée Imaginaire, publié dès 1947, occupe une place considérable. Ce dernier ne cessera d'ailleurs de subir des modifications et des enrichissements, si bien que trois versions furent éditées jusqu'en 1965. Comme le souligne Jean-François Sonnay, il est difficile de tracer la trajectoire intellectuelle menant à l'idée du Musée Imaginaire, compte tenu du fait que Malraux ne cite ni source ni auteur l'ayant inspiré. Pourtant, il est certain que la fréquentation des cours sur l'art et sa participation à différents cercles littéraires ont initialement stimulé ses intérêts. Les nombreux voyages à travers le monde (notamment en Asie) mais également les multiples rencontres, ainsi que ses connaissances historiques, littéraires et artistiques n'ont cessé d'enrichir sa pensée. En somme, le parcours de sa vie, a respectivement accompagné et nourri l'écriture et la réalisation de cet ouvrage.
L'idée principale du Musée Imaginaire réside dans le fait de pouvoir rendre visible et accessible toutes les œuvres du monde au moyen de leur reproduction photographique. Jean-Loup Wastrat mentionne que cette notion traverse toute l'œuvre esthétique de Malraux et n'est pas l'objet d'une approche ou d'une réflexion précise[. L'idée de son Musée se transforme aussi jusqu'à prendre par exemple la forme d'une trilogie spécifiquement consacrée à la sculpture avec Le Musée Imaginaire de la sculpture mondiale, publié entre 1952 et 1954. Il est indéniable pour Malraux que l'art nous est aujourd'hui connu grâce à la photographie et c'est cette dernière qui forme l'idée de son Musée universel. Sa conception fictive de l'institution muséale prend tout de même place au sein du livre, dont l'étroite correspondance des images et du texte s'organise en une articulation démonstrative.
Rapidement, ses écrits ont soulevé plusieurs critiques au point d'être restés souvent mal compris à son époque. Aujourd'hui, on observe un regain d'intérêt pour sa pensée, notamment pour sa réflexion sur l'art à laquelle plusieurs colloques et de nombreuses publications ont été consacrés. C'est au croisement de plusieurs approches que se forme actuellement une compréhension actualisée de la pensée malrucienne. L'avant-propos de l'ouvrage que lui consacre Georges Didi-Huberman souligne à quel point la réflexion du Musée Imaginaire s'inscrit pertinemment dans notre actualité :
« […] l'idée de « Musée imaginaire » et le postulat de la primauté du rôle du musée dans notre relation à l'œuvre d'art imprègnent encore notre atmosphère culturelle, esthétique, idéologique et politique. Ils font partie de notre “englobant“ comme l'aurait écrit Malraux, de notre “paysage“, comme on dit d'ordinaire aujourd'hui».