«Historia», février 1996, n° 590, p. 86-89. «Malraux, cible de l'OAS. Figure emblématique du régime gaulliste, André Malraux fut l'une des cibles de l'OAS. Une bombe placée à son domicile fera un blessé grave : Delphine Renard, 4 ans. Le commissaire Ottavioli raconte comment il arrêta les auteurs de l'attentat.»

Historia, février 1996, n° 590, p. 86-89.

 

Malraux, cible de l'OAS

Figure emblématique du régime gaulliste, André Malraux fut l'une des cibles de l'OAS. Une bombe placée à son domicile fera un blessé grave : Delphine Renard, 4 ans. Le commissaire Ottavioli raconte comment il arrêta les auteurs de l'attentat.

 

Par le commissaire Ottavioli

Pas une journée sans attentats. Depuis le début de l'année 1962, les activistes de l'OAS (l'Organisation de l'armée secrète), sous l'autorité du général Raoul Salan, ont décidé d'étendre leur action terroriste à la France métropolitaine. Dans la seule nuit du 17 au 18 janvier les partisans de l'Algérie française ont frappé un grand coup : dix-sept attentats.

Quelques jours plus tard, l'OAS signe dix nouveaux attentats, commis en plein jour dans la capitale et sa banlieue. L'un des objectifs n'est autre que le domicile privé d'André Malraux et de son épouse qui habitent les premier et deuxième étages d'un pavillon situé au 18 bis de l'avenue Victor-Hugo à Boulogne-Billancourt.

Ce mercredi 7 février, il est treize heures lorsque le ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle assiste au Conseil des ministres qui se déroule au palais de l'Elysée. Et c'est à cet instant précis qu'une bombe explose en contrebas des appartements inoccupés du ministre. Par erreur, une enfant de quatre ans, Delphine Renard, dont les parents résident au rez-de-chaussée de l'immeuble, est très gravement atteinte au visage, particulièrement aux yeux. Ses blessures nécessitent trois cents points de suture. La photo du visage meurtri de la fillette fait la une des journaux. Cet attentat porte un tort considérable à l'OAS dont l'action est unanimement condamnée.

Au matin du 22 février, un jeune homme, totalement inconnu des services de police, se présente seul et spontanément au 36 quai des Orfèvres, le siège de la Brigade criminelle chargée de la lutte contre le terrorisme. Le jeune homme qui est assis en face de moi est un repenti sincère. Il affirme réprouver les actions terroristes et considère qu'il ne peut continuer à défendre ses convictions à n'importe quel prix. Quel fut son rôle exact dans de précédentes opérations ? Nous ne le saurons jamais. En revanche, ses révélations vont s'avérer extrêmement précieuses, nous conduisant jusqu'aux auteurs de l'attentat contre le domicile d'André Malraux.

 

L'arrestation des deux premiers comparses

Il prétend avoir connaissance d'un rendez-vous de poseurs de bombes qui doit avoir lieu le soir même, à 20 h. 30, face à la mairie d'Issy-les-Moulineaux, dans l'immédiate banlieue sud de Paris. Sur la seule foi de son témoignage et par conséquent sans trop y croire, nous décidons néanmoins de nous rendre sur place. Deux jeunes gens sont interpellés au cours de l'opération. Chez l'un d'eux nous découvrons cinq kilogrammes d'explosifs : c'est la première saisie de ce type effectuée à Paris.

Agés de vingt ans, enrôlés dans l'OAS à l'occasion de leur préparation militaire, les deux individus se révèlent être de dangereux terroristes amateurs. Ils ne peuvent et ne songent pas à se dérober. Grâce aux interrogatoires et aux documents trouvés en leur possession nous identifions rapidement le domicile de leurs chefs de groupe : les frères Francis et Alain C.[1]

Légalement nous pourrions immédiatement procéder à des arrestations et à des perquisitions, mais une opération trop précipitée risque d'anéantir l'effet de surprise. En intervenant il nous faudrait frapper à la porte, nous annoncer par le traditionnel «Police, ouvrez !» et attendre patiemment que la porte nous soit ouverte… Je décide donc de mettre sous surveillance le pavillon où, en principe, doivent se trouver les frères C. Après quelques heures frileuses passées dans nos voitures stationnées aux abords de la souricière notre patience est récompensée. Un jeune homme, qui sort du pavillon, est immédiatement arrêté. Sous sa conduite et munis du jeu de clefs qui est en sa possession, nous pénétrons sans la moindre difficulté dans la maison qu'il partage avec les frères C. Quand nous entrons dans leur chambre les deux hommes dorment encore. Sous leur oreiller, un pistolet approvisionné, balle dans le canon.

[1] Les faits concernant les événements d'Algérie ayant été amnistiés, le nom des principaux protagonistes est indiqué par l'initiale.


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