Gérald Gohier : «Jean-Louis Barrault sans paravents», Valeurs actuelles, 19 au 25 septembre 1968, n° 1660, p. 26-28.
Dans ses Souvenirs, Jean-Louis Barrault a écrit : «Je voudrais avoir trouvé ce mot d'André Gide que je répète souvent après lui “Je suis comme la truite, j'aime à remonter le courant”».
Au mois de mai dernier, le courant était à la révolution dans l'Odéon-Théâtre de France occupé par les amis de Cohn-Bendit et de quelques acteurs aussi secondaires que contestataires. M. Jean-Louis Barrault s'est laissé glisser.
Cette défaillance lui vaut aujourd'hui de ne plus être directeur de la deuxième salle de théâtre française, M. André Malraux lui ayant fait notifier son licenciement par une lettre en forme d'exploit d'huissier.
Jean-Louis Barrault a décidé de garder le silence. Il a conclu son unique réponse au ministre des Affaires culturelles par cette réplique du répertoire noble : «Serviteur, oui, valet non».
Le premier rôle de M. Jean-Louis Barrault a été celui d'un valet. C'était en 1931, dans Volpone, que son premier maître, Charles Dullin, montait à «L'Atelier». Il venait d'avoir 21 ans.
Dans «Les cahiers de la Compagnie Renaud-Barrault», Jean-Louis Barrault a décrit ses débuts : il couchait dans les coulisses, faute de pouvoir payer le loyer d'une chambre et se nourrissait essentiellement de salade au citron.
De cette période misérable, date, selon lui, son horreur du théâtre bourgeois et de la bourgeoisie en général. C'est en mastiquant de la vache enragée qu'il fait sa promesse de révolutionnaire lyrique.
Jean-Louis Barrault a aujourd'hui 58 ans. Il est officier de la Légion d'honneur et même, entre autres distinctions, chevalier du Mérite agricole.
Le 1er septembre 1959, pour la première fois depuis Molière, une troupe privée devenait, par décret, théâtre d'Etat : la Compagnie Renaud-Barrault à l'Odéon-Théâtre de France avec tous pouvoirs.
