Henri Muller : «Malraux – Extrait de “Sans tambour ni trompette”», «Le Bulletin du Festival international de Cannes», 8 mai 1969, n° 1, p. 10.


Henri Muller : «Malraux – Extrait de Sans tambour ni trompette», Le Bulletin du Festival international de Cannes, 8 mai 1969, n° 1, p. 10.

 

«Vers les années 1919» raconte le critique belge André Vandegans, «un jeune homme d'allure distinguée mais fort correctement vêtu» offrait à René-Louis Doyon, directeur de la librairie La Connaissance de l'approvisionner régulièrement en éditions originales et en ouvrages hors de l'ordinaire. Doyon accepta et le jeune homme tint parole. «Il venait, poursuit Vandegans, avec le produit de la quête, faisait son prix, réclamait son dû et disparaissait jusqu'au lendemain». André Malraux avait à l'époque dix-huit ans. Trois ans plus tard il se mariait et entrait au service des éditions du Sagittaire que dirigeait Simon Kra à qui il persuada de publier des ouvrages illustrés et tirés à petit nombre; ainsi parurent Le Carnet intime de Laurent Tailhade, les Causeries de Baudelaire et Le livre de l'imagier de Rémy de Gourmont illustré par Daragnès. Puis il entra à Action, une revue que dirigeait Florent Fels et où il publia La Genèse des Chants de Maldoror. Cette année-là, il se maria et fut présenté au fameux marchand de tableaux Kahnweiler qui allait publier son premier livre Lunes en papier, illustré par Leger. «On trouve dans ces pages, écrit Vandegans, un univers farfelu, c'est-à-dire fantaisie, d'une fantaisie légère et folle». Malraux, qui allait faire éditer en 1928 Royaume-Farfelu revendique d'avoir popularisé le mot. Selon les linguistiques, il remonterait du grec et signifiait «Bulle d'air»; le latin l'a transformé en «famfaluca» et il devint, au XIIe siècle, «fanfelue» ou «fanfeluce»; il signifie alors chose gonflée, vaine, bagatelle. Vandegans rappelle que pendant un temps Malraux utilisa même «franfrelucher», trouvé dans Rabelais chez lequel il y a aussi «farfelu». Je ne reviendrai pas ici sur l'aventure indochinoise de Malraux, tout un livre par l'écrivain américain Walter Langlois vient de lui être consacré. C'était un temps où je ne l'avais jamais vu mais, bien sûr, il avait sa légende «d'écrivain aventurier», ce qui veut dire que tout comme un Cendrars, sauf que lui inventait à peu près tout, chez Malraux l'authentique était là, je l'admirais et je savais que des écrivains comme Breton, Mac-Orlan, Maurois, Pierre-Quint, Mauriac, Pourtalès, Martin du Gard et Morand le tenaient en haute estime depuis qu'il avait fait paraître Lunes en papier et certains textes très remarqués comme «La Peinture de Galanis» ou «Aspects d'André Gide» et qu'ils avaient signé un manifeste en sa faveur lorsqu'il avait été accusé d'avoir pris dans le temple de Banteaï-Srey, près d'Angkor, qu'il croyait non classé, certaines sculptures.

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