Comment Hollywood fait une star
Grand reportage par René Guetta
Lorsqu'on ne connaît pas Hollywood, on croit volontiers que cette ville est composée uniquement de grands hangars, qui sont les studios et de rues dans lesquelles une foule costumée, maquillée de mille façons, vous entraîne dans une sorte de farandole de Mi-Carême. J'ai souvent interrogé des Françaises à ce sujet : «Aimeriez-vous aller à Hollywood ?» La plupart me répondaient oui.
Quelques-unes, par contre, actrices ou petites poules, qui avaient figuré en France prenait un air dédaigneux : «Peuh ! leur Hollywood ! Ils en font un chiqué à Hollywood. Les femmes se ressemblent toutes. Elles ont l'air bête. Elles n'ont pas ce “chic parisien” que nous avons (nous était une Basque). D'ailleurs j'ai déjeuné avec un grand manitou de là-bas. Il m'a offert de partir. Je n'ai pas voulu !»
Ce n'était pas vrai. Il n'y a pas d'exemple qu'un Américain n'emmenât pas avec lui la personne qu'il découvrît ou qu'il était venu chercher !
Hollywood veut dire davantage qu'«argent» pour ceux qui réussissent; Hollywood veut dire «renommée mondiale, sympathie universelle».
Maurice Chevalier était connu des Français et aimé d'eux. Il y avait des compagnies de caméras, des metteurs en scène français à l'époque où il chantait au Casino de Paris. Il y avait des Marcel L'Herbier, des Gaston Ravel, des Léonce Perret. Pas un de ces messieurs ne pensa que ce grand garçon sympathique, que la foule adorait, pouvait être adoré de toutes les foules, puisque toutes les foules se ressemblent. Si, en 1928, on avait dit à un producteur français : «Voilà, on va déguiser Maurice en lieutenant et on va tourner avec lui une opérette genre Veuve Joyeuse, le producer français aurait haussé les épaules, craché par terre et dit : «Foutez-moi le camp d'ici, vous êtes piqué.»
Il n'a fallu à Jesse Lasky, alors l'un des chefs de la Paramount, que dix minutes pour fabriquer une nouvelle star.
Il alla dans la loge de l'artiste qu'il voyait pour la première fois :
— Combien gagnez-vous Monsieur Chevalier ?
— 120.000 par mois.
— Ça fait 5.000 dollars. Bon ! moi je vous offre 2.000 dollars par semaine. Je vous essaierai dans un film. Je ferai tout pour que ce film soit réussi. Si le film est mauvais, je vous rends votre liberté.
Maurice, qui n'est pas bête, vit tout de suite le piège.
— Somme toute, vous m'offrez de partir pour un pays que je ne connais pas, où l'on ne me connaît pas dont je ne parle pas la langue, pour tourner un film, et vous ne me donnez que six mois pour apprendre l'anglais, m'habituer à Hollywood, m'y adapter.
— Je vous offre une chance d'être une grande vedette internationale. Et je crois que vous deviendrez cette vedette internationale. Vous n'êtes pour l'instant, que l'idole de quelques millions de Français. Dans deux ans vous serez, si je ne me trompe pas, l'idole aussi bien de la Chine, de la Russie, des Etats-Unis, du Japon, de l'Alaska. Partout le nom de Maurice Chevalier sera populaire. Ça vaut le déplacement.
Et Maurice signa. Il signa ce contrat ingrat, parce qu'il sentait qu'il avait l'expérience suffisante pour gagner la lutte. C'était dur : quitter son public, pour un public inconnu. Quitter son Paris pour une ville pleine de concurrents qui se ligueraient contre lui dans cette course à la gloire. Pourtant, personne en France ne se rendit compte que s'il perdait la partie là-bas, il la perdait ici. Des journaux blâmèrent ce compatriote qui s'expatriait. On n'examinait pas les risques qu'il courait. On ne songeait qu'à ses cachets. On n'écrivait pas que les compagnies françaises l'avaient dédaigné. On écrivait que le «contrat fabuleux» qu'il avait dans sa poche, seul le tentait. Personne ne rendit hommage au courage, à l'élégance du geste de Maurice, qui lâchait tout pour s'en aller très loin – et qui n'avait qu'un film pour se débrouiller et vaincre.
Mais Lasky avait vu juste. Maurice triompha.
Toute le génie des Américains est de profiter même des défauts de la vedette qu'ils viennent de découvrir : (l'accent chez Chevalier), et de la créer, de la fixer sur l'image, de manière à ce que l'on puisse la classer dans un rang nettement défini. (Ce rang est presque trop défini, puisque Chevalier, aujourd'hui ne peut pas se débarrasser de son costume de lieutenant d'opérette.)
Hélas, chaque fois qu'un acteur devient star, un contingent nouveau augmente la liste des innombrables figurants qui, à Hollywood, crèvent de faim. «Lui a réussi ? Pourquoi pas moi ?» Et les rues de la ville du cinéma se remplissent de magnifiques garçons, de splendides filles qui attendent un contrat. Tous sont persuadés qu'ils vont réussir. Tous aiment mieux ne pas manger et acheter une nouvelle cravate. Lorsqu'un visiteur arrive à Hollywood, il cherche vainement à voir les «stars». Les «stars» sont invisibles pour ceux qui n'ont pas le mot de passe nécessaire. Les «stars» ne vont que chez les stars. Mais le touriste voit dans la rue des centaines de Clark Gable, des centaines de Joan Harlow, et de temps en temps des Garbo. Ce sont les «extras», les figurants, qui meublent, pour ainsi dire, la ville. Car chaque figurant a sa marotte. L'un est persuadé qu'il ressemble à Wallace Beery. L'autre est sûr qu'il ressemble à Novarro (c'est un type assez courant). Alors, à l'instar de Novarro, il prend des leçons de chant, lorsqu'il a gagné quelques dollars. Et tous restent parce qu'ils ont une chance de réussir.
Il n'y a pas de raison, pour qu'un jour, ils ne gagnent pas 1.000 dollars par semaine. Et cela est si juste, que ce sentiment est ancré dans leur cœur jusqu'à leur faire endurer les plus terribles privations. Ils savent que des agents sont à l'affût de figures nouvelles. Ils savent que si la chance les désigne, ils seront formés physiquement et moralement par des spécialistes; l'un lui arrangera le nez, l'autre lui apprendra à réciter les classiques. Ils n'ont pas peur. Et c'est justement parce que Hollywood est une immense loterie humaine qu'il y a tant de malheureux.
Il y a quelques années, les grands chefs de Hollywood venaient en Europe pour trouver des étoiles nouvelles qu'ils formaient. Il fallait une Française pour jouer Marie Galante. Il y a des Françaises à Hollywood, mais elles sont vieilles. On voulait un nom nouveau. Les gens de la Fox, à Paris, cherchèrent et trouvèrent. Ils trouvèrent une petite femme inconnue, charmante, qui, dans son pays natal, la France, avait tourné des tout petits rôles sans importance. Naturellement, lorsqu'on sut que Ketti Gallian partait pour Hollywood, ce fut une explosion de commentaires.
«C'est moi qui l'ai découverte», clamait un metteur en scène qui l'avait fait figurer une fois.
«Cette petite n'a aucun talent. Elle a les dents trop longues, des yeux trop petits, un derrière qui traîne par terre», disait le chœur des amies consternées.
Ketti Gallian partit, puis, émue par quatre jours de train (terreur des Européens), arriva en Californie. Elle ne savait pas l'anglais. Elle n'avait jamais eu de grands rôles. On fit des essais. Elle était délicieuse.
«Il faut arranger les dents, dit un spécialiste à lunettes. Venez, Mademoiselle.»
Tremblante, Mlle Gallian, qui n'avait pas compris, parce qu'on parlait anglais, qui tremblait d'une vague frousse depuis qu'elle était arrivée, suivit le monsieur aimable.
Le monsieur aimable lui lima incontinent les dents.
On refit un essai.
— Souriez.
Cette Gallian avait maintenant des dents admirables.
— O.K. Vous avez bien travaillé, Mademoiselle, merci, dit le spécialiste modeste.
Ketti vit ainsi défiler une grande quantité de messieurs aimables qui lui arrangeaient tous quelque chose de différent : parmi ces messieurs, il y en avait qui lui apprenaient la langue anglaise. Elle sut bientôt dire yes et no.
Et puis, il fallait qu'elle gardât son accent, ce qui facilitait les choses. Bientôt, Ketti tourna Marie Galante. Ce fut un succès.
Ketti est restée à Hollywood. Elle est au mieux avec un grand producer qui l'a prise sous sa protection.
Ketti, petite figurante française, va peut-être devenir la femme d'un riche et puissant Américain, ce qui sera le couronnement de sa carrière de vedette. Mais Ketti Gallian a eu beaucoup de chance…
On trouva aussi des talents nouveaux au théâtre. Les castings directors, spécialement préposés à l'engagement des vedettes, envoyèrent partout en Amérique des hommes à eux, des «scouts» chargés «de signer» immédiatement la femme ou l'homme qui en valaient la peine. Seul, Samuel Goldwyn, de plus en plus puissant, se vanta de pouvoir former des stars et d'en découvrir à l'étranger ! Tout Hollywood se moqua de lui parce qu'il voulait créer au lieu de payer seulement. On trouve à l'étranger une Marlène, un Maurice Chevalier, mais c'est tout. Marlène parlait l'anglais aussi bien que l'allemand et Chevalier avait un accent qui valait des millions de dollars. Des exceptions ?
— Parfait, dit Goldwyn. Nous verrons bien.
Et il partit pour l'Europe, décidé à ramener la star des stars. Je tiens à raconter son histoire, qui est typique et qui a donné à Goldwyn la réputation d'être le plus grand «fabricant de vedettes» du monde.
J'étais à Hollywood dans mon bureau de la M.G.M., lorsque son Européenne arriva.