I
« L'autre pôle de ma pensée », disait André Malraux de l'Asie. Peu d'écrivains français, et aucun avec une telle intensité, ont embrassé comme Malraux la totalité de l'aventure culturelle (donc spirituelle) de l'homme, depuis la préhistoire jusqu'à la peinture abstraite, des fétiches d'Afrique aux bouddhas de Nara, des Athéna pensive aux Vierges romanes, ou à la figure polyvalente de Shiva dansant dans les flammes qui détruisent et recréent le monde phénoménal. Si donc son « théâtre » a accueilli tout ce que l'homme crée pour se souvenir qu'il n'est pas seulement une parcelle de hasard jeté dans l'univers, il est clair qu'il a été particulièrement aimanté par l'Asie. (Entendons ici Asie comme le continent de l'Indus au Japon en laissant pour d'autres occasions Jérusalem, Mahomet ou la Perse qui lui ont également servi de terreau.)
Nous pouvons diviser cette Asie orientale en quatre mouvements qui correspondent à quatre expériences fondamentales de sa vie et de son œuvre.
L'Indochine a été pour lui son premier engagement politique et une source d'inspiration romanesque.
De la Chine on retiendra une action imaginaire métamorphosée en des romans historiques et métaphysique, des tragédies éclairées par la puissance du destin.
Avec l'Inde et le Japon, le domaine de la création romanesque s'arrête. Il n'y a pas là d'énigme. Malraux est un romancier de l'imaginaire vécu. Indochine, Chine, Espagne, miroir de Lawrence d'Arabie, guerres mondiales lui ont apporté des personnages et des situations qu'il n'a trouvés ni le long du Gange ni autour du Fuji. C'est aussi une question d'époque. L'Inde et le Japon vont prendre chez lui une ampleur particulière alors qu'il a apparemment renoncé au roman pour écrire ses deux grandes épopées que sont sa méditation poétique sur la création artistique et, ce qui, à mes yeux, reste son chef d'œuvre, ce Miroir des Limbes, la légende d'un siècle dont il est un personnage qui cherche à donner un sens là où les dieux se jouent de l'homme.
Après le Japon qui a été magnifiquement éclairé par Takemoto Tadao qui fut le dépositaire de la pensée de Malraux sur une culture qui, contrairement à ce que répétaient les perroquets paresseux, ne saurait être considéré une annexe de la pensée chinoise, voici l'Inde.
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