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A/1929.10.20 — «[Réponse d’André Malraux]», «Emile Zola et la nouvelle génération», «Monde», 20 octobre 1929, p. 4.

«[Réponse d'André Malraux]», in «Emile Zola et la nouvelle génération. Opinions de : André Malraux, André Chamson, Louis Guilloux, Joseph Jolinson, Bertrand de Jouvenel», Monde[1] [Paris], n° 73, 20 octobre 1929, p. 4.


 

Emile Zola et la Nouvelle génération

 

Le malaise littéraire s'accroît chaque jour. Dans une crise d'individualisme forcené, la littérature ne sait plus où elle va, ni à quoi elle sert. Cependant, dans l'actuelle confusion, l'inquiétude de certains – des plus consciencieux – et le pavé de M. Emmanuel Berl provoquèrent des remous marquant des directions significatives. Il apparaît que les générations récentes s'évadent du symbolisme, pour servir une littérature tendancieuse et d'action. Même une école nouvelle – et le mot école semble inédit – le populisme, propose un naturalisme élargi et le retour littéraire au peuple. La critique aussi est soudainement curieuse de l'époque dont Zola fut le plus illustre représentant.

Aussi avons-nous voulu consulter les écrivains les plus notoires de la littérature actuelle pour leur demander leur pensée sur Emile Zola, et si les conceptions épiques et sociales du magistral auteur des Rougon-Macquart, sont plus près des tendances nouvelles, et sont susceptibles d'avoir sur l'art et les élites de demain une influence plus efficace que les œuvres néo-idéalistes qui connurent la faveur des générations d'avant-guerre.

Nous ne souhaitons ni coller des étiquettes, ni former des équipes, mais préciser un état, déterminer des positions, pour que le lecteur puisse concevoir un avenir plus franc, et s'y reconnaître dans une pitoyable débâcle.

Nous avons eu souci de nous adresser équitablement à des écrivains de toutes les tendances. La plus grande part de ceux que nous avons questionné, ont jugé important de nous répondre; nous publions aujourd'hui ces premières opinions presque toutes essentielles et catégoriques.

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André Malraux

Le nom d'André Malraux s'est imposé dès la publication de son livre : Les Conquérants. Certains n'y virent qu'une technique nouvelle du roman. En plus de cela, Les Conquérants apportaient une vision personnelle très aiguë de certains aspects de la révolution chinoise aux prises avec l'impérialisme.

 

L'œuvre de Zola ne m'a jamais directement intéressé, voici pourquoi :

1° Ce qui me touche dans le romancier – comme dans l'artiste quel qu'il soit – n'est pas le monde qu'il peint, mais la transformation particulière qu'il est obligé d'imposer à ce monde pour parvenir à le traduire. L'œuvre de Balzac peint bien moins la Restauration que les efforts que devait faire un Bonaparte, desservi par les circonstances et contraint à demeurer à l'intérieur d'une classe ou d'une profession, pour se réaliser à l'intérieur de cette classe ou de cette profession. La montée de Biretteau, la montée de Grandet peignent des Bonaparte avare, des Bonaparte parfumeurs. Supprimez de La Comédie humaine l'esprit napoléonien, l'œuvre en est transformée totalement. L'accent particulier qu'est chez Balzac cet esprit me semble chez Zola médiocre et sans portée.

Monde s'intéresse évidemment à Zola parce que Zola a peint des ouvriers. Il l'a fait en fonction d'une idée du «peuple» que je crois sans valeur aujourd'hui : en France, une partie des ouvriers se rallie à la bourgeoisie, l'autre constitue le prolétariat, qui est tout autre chose que le peuple. Et Zola peint Coupeau comme Flaubert peint Charles Bovary : peinture de mœurs, animaux curieux. L'alliance entre le romancier et le prolétariat me paraît reposer toujours sur un malentendu : ce n'est pas le roman qui exprimera le prolétariat, ce n'est pas la chanson de geste qui a exprimé la bourgeoisie.

3° Il va sans dire que ceci ne constitue qu'une réaction particulière, dans un domaine particulier.


[1]     Hebdomadaire culturel et politique, communiste, créé par Henri Babusse, Monde paraît de 1928 à 1935.


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