Madame Kuniko Abé est historienne de l'art, professeure à l'Akita International University, au Japon. La rédaction de Présence d’André Malraux sur la Toile la remercie infiniment de l’importante étude qu’elle lui confie aujourd’hui. Il s’agit d’une version raccourcie et remaniée de la communication qu’elle avait proposée en 2008 au colloque «André Malraux ; His philosophy and Art – Temptations of the Orient and Japan», organisé à l’Université d’Akita.
Malraux et le plafond de Chagall à l’Opéra de Paris
Triomphe de la couleur
Le nouveau plafond est dévoilé le 23 septembre 1964, le jour de l'inauguration. Malgré les vives contestations contre l'insertion d'une œuvre contemporaine dans le palais du Second Empire, l'occultation de l'œuvre originelle, les craintes de l'anachronisme et de l'antinomie, les critiques changent d'avis sous le nouveau ciel de Chagall.
La composition de Chagall a modifié l'atmosphère générale de la salle par l'éblouissement de couleurs et de figures distribuées avec liberté. Selon le critique d'art Raymond Cogniat, alors que le plafond originel d'un style très académique fermait l'espace, « l'œuvre de Chagall, au contraire, supprime l'impression de châsse close, crée un lieu indéterminé, animé de nombreux personnages sans architecture précise, sans lignes de perspectives fuyantes et ouvre un espace indéfini » L'œuvre de Chagall crée de l'espace, un monde nouveau ; la rupture est totale avec les allégories de naguère.
C'est un triomphe de la couleur. « La peinture, c'est la couleur, la chimie de la couleur », dit Chagall dans La Corde et les souris d'André Malraux. Chagall recherche quelle couleur correspond le mieux à l'évocation de telle ou telle musique. Le plafond est composé de cinq zones ; chacune reçoit une couleur dominante qui caractérise l'hommage rendu à deux musiciens associés : le bleu pour Moussorgski et Mozart, le vert pour Wagner et Berlioz, le blanc pour Rameau et Debussy, le rouge pour Ravel et Stravinsky, le jaune pour Tchaïkovski et Adam, les blancs jouant le rôle de liaison, de passage, de transition. Chagall rompt délibérément avec des tonalités chaudes et lourdes de rouge et d'or de la salle, en utilisant des couleurs pures à dominance claire. Chagall plonge le spectateur dans une féerie colorée. Ce triomphe de la couleur se retrouvera dans ses vitraux, réalisé à Reims et à Jérusalem, autour de 1960, la lumière colorée devenant le vrai matériau.
Mais on se demande si les couleurs de Chagall, avec leur intensité, n'entreraient pas en dissonances avec la décoration rouge et or de ce monument. Au contraire, l'éclat des couleurs de Chagall sembleraient raviver les ors et la polychromie de Garnier. En effet pour orner l'Opéra, l'architecte avait cherché la polychromie, variant les nuances et colorant tout ce qui pouvait l'être, il fit venir du marbre et des pierres dures de tous les pays d'Europe, plus de cinquante espèces : « le vert de Jonkoping en Suède, le bleu veiné italien, le brocatelle d'Espagne, le granit d'Aberdeen, le sarrancolin des Pyrénées, le rouge ardent de Sampan, le parmezzo d'Italie, le jaspe du Mont-Blanc, le porphyre de Finlande ».
Chagall pensait à la profusion d'architecture et d'or de la salle qui allait servir de cadre à son œuvre et exigeait des couleurs qu'elles deviennent aussi riches que les pierreries et les bijoux portés par les spectateurs. La large bordure d'or du plafond comme un énorme cadre constitue un écrin féerique. Chagall voulait un « tableau », non une décoration.
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Texte mis en ligne le 1er février 2013