Image of André Guérin : «Difficile à écrire la vraie légende du Général ! Aux prises déjà : Malraux et Jeanneney, sur le fatal référendum du 27 avril 1969», «L'Aurore», 8 août 1972, n° 8688, p. 1.

André Guérin : «Difficile à écrire la vraie légende du Général ! Aux prises déjà : Malraux et Jeanneney, sur le fatal référendum du 27 avril 1969», «L'Aurore», 8 août 1972, n° 8688, p. 1.

Quand André Malraux se met en devoir d'étonner son public, il y parvient parfois supérieurement.

Imaginiez-vous, Français appelés à voter oui ou non le 27 avril 1969, lors du fameux référendum sur l'avènement de la région et l'extinction du Sénat, imaginiez-vous que de Gaulle n'avait ce jour-là qu'une idée en tête, celle de se faire battre ?

La révélation faite par André Malraux à John Hess, du New York Times et reproduite dans L'Express est tout de suite apparue bizarre à tous ceux qui, sur la question, se rappellent les confidences des proches, voire de la famille. Eux demeurent persuadés que le général, bien sûr, s'était trompé, mais de là à lui prêter de pareilles idées de suicide… Or, telle est bien l'affirmation d'André Malraux :

«… Il a voulu être battu. Il a cherché – comme appellerons-nous ça ? – l'ingratitude. Alors, bien sûr, il parle (dans ses Mémoires) comme si c'était la faute des Français ! Je veux bien, je ne suis pas sûr qu'il ait tort, mais ce que je dis fermement, c'est que cette ingratitude, il l'a cherchée

Et là-dessus, au micro de R.T.L., voici, furibond, Jean-Marcel Jeanneney.

Il ne pouvait guère, Jean-Marcel Jeanneney, laisser passer sans répondre pareille façon de rapporter l'histoire.

Pensez ? Ne fut-il pas, lui, en ces malheureuses conjonctures, l'inspirateur opiniâtre de ce projet de République divisible et privée du contrepoids sénatorial ? Ne fut-il pas l'artisan tenace de la défaite du général ?

Alors, tant pis pour Malraux, mais Jeanneney s'inscrit en faux.

Il est étonné, comme tout le monde, et plus aussi : choqué. Prétendre que de Gaulle, à ce point de sa carrière, prit le prétexte du référendum pour se faire renverser et s'en aller, c'est une «vision fausse», c'est «trahir sa pensée». C'est «oser suspecter» la sincérité de ses messages au peuple. C'est confondre «l'acceptation de la mort et le suicide».

Surtout, c'est «ternir son image» aux yeux des générations futures.

Et voilà la grande affaire.

La seule qui compte, pour tout le clan.

 

C'est de la légende qu'il s'agit. De la légende entretenue depuis le 18 juin 1940.

Malheureusement, avec le temps, la légende résiste mal, quand elle n'est plus enseignée ex cathedra, quand se créent des légendes, qui ne coïncident pas toujours.

Il n'est pas de culte plus ingrat que celui de la personnalité.

Voyez Malraux.

En un passage apparemment d'une profonde vérité, il nous montre de Gaulle en retard de sept ou huit siècles, ne concevant les travailleurs que sous l'aspect des bûcherons et des laboureurs du Moyen Age, ignorant parfaitement ce que peut être de nos jours un ouvrier métallurgiste.

Soit. Mais que penseront de cette description tels gaullistes se réclamant d'un tout autre de Gaulle aux intentions sociales plus qu'intrépides – dût en crever l'économie libérale. Et qu'en penseront tels autres encore, de l'ex-entourage aussi, pour qui le grand homme de général n'était pas du tout Saint-Just ou Napoléon – les références de Malraux – mais bel et bien Louis-Philippe ?

 

De Gaulle, personnage déconcertant et décourageant. Qui sera qualifié pour l'écrire ? Malraux ou Jeanneney ? Celui-là rappelle qu'il l'a connu intimement. Celui-ci fut le dernier de ses conseillers vraiment écoutés.

A qui donc de Gaulle s'est-il vraiment livré ?

N'a-t-il pas plutôt pris soin, à tous égards, de se construire et de préserver une légende, la sienne, authentifiée par lui, et par lui seul ?

Ce ne sont pas les gaullistes de cette génération qui s'y retrouveront.

Ils n'ont pas fini de se disperser en sectes d'adorations contradictoires.

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