Image of «André Malraux vivant. Blessé, prisonnier puis délivré, il a repris le combat contre l'envahisseur», «Combat», 9 septembre 1944, p. 1 et 2.

«André Malraux vivant. Blessé, prisonnier puis délivré, il a repris le combat contre l'envahisseur», «Combat», 9 septembre 1944, p. 1 et 2.

C'est une grande nouvelle que nous pouvons aujourd'hui annoncer : André Malraux est vivant.

Nous n'avions jamais accepté la nouvelle de sa mort. L'amitié a son espérance et ses raisons plus forte que la raison. Car il était, «il est» de nos amis et l'idée qu'il pouvait être tombé dans une lutte qui était la sienne et la nôtre depuis tant d'années, avant de connaître la victoire, cette idée nous serrait le cœur et nous remplissait d'amertume.

Quelques semaines avant la libération, Malraux nous quittait pour la dernière fois, sur le Pont Royal, les cheveux sur le front, la cigarette vissée au coin de la bouche et l'imperméable volant au vent de la Seine. Il partait pour la zone sud rejoindre son groupe et continuer son travail de Français révolutionnaire. Et nous n'avions rien à nous dire. Mais à cette heure difficile où aucun d'entre nous ne connaissait son lendemain, nous avons seulement échangé le salut par lequel les hommes de la résistance marquaient l'amitié jamais exprimée et leur fraternelle inquiétude. Nous avons dit : «Veillez sur vous». Et Malraux riait.

Il riait à cause de cette certitude qu'il avait et qu'il répétait souvent : «Il ne peut rien m'arriver. Je sortirai de là». Cela n'avait pas de sens. Et pourtant quand on le regardait, cela semblait convaincant. Il semblait toujours au-dessus de ce danger dont il avait la familiarité. Mais il y apportait l'intelligence, qui fait apparaître simples les actions les plus difficiles. Et nous lui étions reconnaissants de cette confiance en son étoile et de ne pas faire, quoi qu'on ait dit de lui, d'un devoir élémentaire d'homme l'exercice d'un désespoir personnel.

 

Toujours vivant

Et puis il y a trois semaines on annonçait sa mort dans un maquis de Corrèze, ou du Vercors, selon les informateurs. La nouvelle arrivait en même temps que celle qui concernait la mort de Saint-Exupéry.

Et dans le premier mouvement de révolte, nous avons pensé que c'était payer trop cher. Puis nous avons refusé de croire.

Mais hier soir, notre camarade Rossini, de Combat, secrétaire général du Mouvement de Libération Nationale, arrivant en avion de Toulouse, nous annonçait qu'André Malraux était toujours vivant et qu'il continuait son action dans la région de Limoges. En même temps, il nous donnait les détails les plus précis sur ce qui avait motivé la nouvelle de sa mort. En réalité, Malraux avait été blessé et fait prisonnier par la Gestapo.

 

L'activité de Malraux

Il faut savoir auparavant que depuis 1942, André Malraux, en contact en zone sud avec des délégués militaires britanniques, avait organisé un groupe franc chargé d'exécuter en Corrèze et en Dordogne, des opérations demandées par l'état-major allié. C'est ainsi que dans une série de coups de mains, son groupe réussit la destruction des transformateurs alimentant la fabrique d'armes de Tulle. Il y a quelques mois, la Gestapo et la Milice réussirent à arrêter l'état-major du groupe. Malraux dut à un hasard exceptionnel de pouvoir échapper.

Il revient à Paris à ce moment pour acquérir une nouvelle identité et tenter de reprendre des contacts qu'il avait perdus.

Puis il repartir pour le Lot-et-Garonne organiser des parachutages d'armes.

Il y a trois semaines, Malraux participait à la guérilla qui s'était déclenchée déjà dans la zone sud.

Au cours d'une mission, la voiture dans laquelle il avait pris place avec deux officiers anglais fut arrêtée par un barrage allemand. Pour échapper au tir des mitraillettes, il voulut tourner, mais l'auto s'écrasa contre un arbre. Les deux officiers furent tués par les rafales de balles, et Malraux blessé à la jambe, n'échappa au peloton d'exécution qu'en se faisant passer pour un officier allié. Traîné de prison en prison pendant quinze jours, il fut délivré à Toulouse par les F.F.I. A peine sorti, il devait reprendre le combat. Il se trouve aujourd'hui à la tête d'un groupe de 1.500 hommes bien armés dans la région de Limoges.

Ces faits précis ne laissent plus aucun doute sur le sort d'un de nos plus grands écrivains. Nous pourrons lire bientôt le grand roman dont Malraux a publié en Suisse le premier volume : Les Noyers de l'Altenburg. Nous pourrons lire aussi l'étude qu'il a rédigée sur le colonel Lawrence, sous le titre : Le Démon de l'Absolu. Mais aussi, et la chose n'est pas moins importante, Malraux pourra bientôt reprendre dans la grande œuvre de reconstruction française, la place qui lui revient de droit et qui est des plus grandes.


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