Christophe Leclerc Inédit
André Malraux et T. E. Lawrence
L'aventurier face au néant
Avant même la publication du Démon de l'absolu en 1996, on savait l'intérêt d'André Malraux pour T. E. Lawrence. Dans son essai Malraux ou le mal du héros, Claude Mauriac pressentait, en 1946, combien l'exemple de Lawrence semblait hanter Malraux.
Malraux était fasciné par les épopées historiques ; rien d'étonnant donc à ce qu'il ait voulu agréger Lawrence à son panthéon personnel, aux côtés de la reine de Saba ou Mayrena. Le romancier appartenait à cette génération qui vit disparaître les perspectives d'aventures avec un grand « A ». Au tournant du XXe siècle, il n'y avait plus de territoire à explorer. « […] le comblement des blancs de la carte, le progrès de la navigation qu'incarne le paquebot, l'impression d'un nivellement général du monde provoquent le sentiment de l'impossibilité de l'éloignement, sous ses formes spatiale et temporelle, donc de l'aventure. » Le caractère exceptionnel de l'ambition lawrencienne (« to feel myself the node of a national movement»), la fraternité des armes envisagée comme une nouvelle chevalerie et la volonté de Lawrence de se dépouiller de sa propre identité ne pouvaient qu'intéresser Malraux au plus haut point. Les grands thèmes de la pensée malrucienne affleurent : la métamorphose, qui trouvera son expression la plus juste dans une réflexion ininterrompue sur l'art, mais aussi la lutte de l'homme contre sa condition mortelle, ce terrible sentiment de finitude.
Le sujet est connu, mais la thèse de doctorat de Nathalie Lemière-Delage, André Malraux et T. E. Lawrence, soutenue avec succès en 2003, atteste du fait qu'il y avait encore matière à réflexion. D'une écriture limpide et assurée, l'auteur pointe, en près de 800 pages, la présence de Lawrence dans l'œuvre de Malraux et analyse le point de vue de l'auteur de La Condition humaine sur Lawrence, accordant évidemment une place particulière au Démon de l'absolu, le texte consacré à Lawrence et publié avec un appareil de notes de Maurice Larès dans la collection de La Pléiade, en 1996. Ce faisant, Nathalie Lemière-Delage répond à plusieurs interrogations fondamentales. Y a-t-il réellement convergence entre les parcours de Malraux et Lawrence ? Le Démon de l'absolu, ce texte si singulier, est-il, à proprement parler, une biographie ? Comment expliquer que Malraux se détourne de Lawrence après 1946, au point que le Démon reste inachevé ? Jusqu'à déclarer même, ensuite, à qui voulait l'entendre que ce texte avait été détruit… Lawrence correspond-il finalement au mythe de l'aventurier, à cet archétype qui enflamma l'imaginaire et la plume de Malraux, et qui court dans son œuvre entière, d'Alexandre à Napoléon, de Renaud de Chatillon à Mayrena ?
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