Dès 1931, André Malraux souligne ce point qui pour lui apparaît capital dans l'art « gréco-bouddhique » : « Le Bouddhisme refuse le monde, et nous voyons ici l'instant unique dans l'histoire de l'Asie où il l'a accepté » (« Exposition gothico-bouddhique – Exposition gréco-bouddhique », Paris, N.R.F., n° 209, février 1931). Et là encore, cela le doit-il à la Grèce, montrant la justesse de l'approche de Foucher. Celui-ci d'ailleurs n'avait-il pas souligné la position géographique si particulière du Gandhara, à mi-chemin entre le golfe du Bengale et les côtes du Levant. « On nous permettra de faire observer », écrivait-il, « que, pratiquement, le Gandhara n'est guère moins éloigné des bouches du Gange bouddhique que de celles de l'Euphrate hellénisé.» Alfred Foucher, « L'art Gréco-Bouddhique du Gandhara », Paris, 1922,vol. III, p. 407.Et Joseph Hackin, l'ancien directeur du musée Guimet à Paris, en charge aussi de la DAFA dans les années 1930, de noter dans ses propres carnets : «il ne faut pas considérer l’art gréco-bouddhique comme un intermezzo du point de vue indien, mais comme une frange autonome d’art bouddhique ayant contaminé quelque peu l’art indien. Cet art a cherché une forme adéquate en territoire non indien et l’a trouvé grâce à l’art grec.» (Joseph Hackin, Carnets 1937, Archives Musée Guimet).On notera, pour finir, l'absence de correspondances réelles (à part quelques relations très ponctuelles) entre l'école du Gandhara (région de Peshawar) et celle de Mathura (région de New-Delhi), que d'aucuns veulent quasi contemporaines, et datent de la période kouchane (1er–3e s.). Cette esthétique gandharienne va se développer ainsi au nord-ouest de l'Inde de façon autonome, évoluant peu à peu vers une codification progressive, qui va se diffuser sur la route de la soie, le stuc cédant la place bientôt à la terre crue.
N'empêche que l'école du Gandhara, du moins à ses débuts, et semble-t-il longtemps, témoigne d'un parfum d'Occident qui reste incontestable, souvent bien plus hellénique que romain – tout cela, sur fonds d'apports des steppes et de culture indienne. Mais, c'est à l'art du Gandhara que revient d'avoir su innover, et d'avoir su créer, à partir de toutes ces traditions, en développant un monde de formes qui lui est personnel. La première méditation du Buddha (Musée de Peshawar, site de Sahri Bahlol) montre, assis sous un arbre celui qui, un jour, deviendra le Buddha. De sa place, il voit le laboureur éventrer le champ du soc de sa charrue et réalise alors la souffrance de ces milliers de créatures, qui vont trouver la mort – première étape d'un long chemin, qui va le mener sur la voie de l'éveil, de la « boddhi », de l'illumination. C'est ainsi à un sculpteur gandharien qu'on doit la première illustration de ce thème, qui mêle toute la sagesse indienne à l'attention portée à l'existence terrestre, même la plus simple, ou la plus quotidienne – et cela aussi renvoie en Méditerranée. Car, l'art du Gandhara, c'est d'abord l'émerveillement du monde, à travers le prisme de l'Inde, et celui de la Grèce, même si l'approche parait paradoxale, par cette rencontre même de deux visions qui semblaient si lointaines – soit un mariage parfaitement réussi entre l'art classique et la philosophie bouddhique, grâce à l'hellénisme en Orient, à la présence des Grecs au nord-ouest de l'Inde, à l'œcuménisme de la cosmo-théorie d'Alexandre le Grand qui avait cherché à Balkh, en épousant Roxane, à unir l'Orient et l'Occident, sous son gouvernement.
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