Art. 241, juillet 2019 | document • Général Brossé : «La bataille de Belfort et de Mulhouse – La victoire du Sundgau», «Délivrance», 1945, numéro spécial sur la délivrance de l'Alsace et de la Lorraine édité par la direction des services de presse du ministère de la Guerre, p. 11-13.

Situation initiale de la 1re Armée française

Au début de novembre, la 1re Armée française est déployée sur un vaste arc de cercle allant de la frontière suisse, à l'est de Pont-de-Roide, jusqu'au sud-ouest de Gérardmer et passant à environ 28 kilomètres de Belfort.

Ce large dispositif se développe sur trois secteurs de nature différente. Au sud, il coupe les dernières hauteurs du Jura et franchit deux fois la vallée du Doubs, en amont et en aval de l'angle aigu se dessine cette rivière, près de Montbéliard. C'est une région tourmentée où abondent les pentes raides. Au centre, il traverse la plaine de Lure, partiellement couverte de forêts et sillonnée par les nombreux cours d'eau qui descendent des Vosges : le terrain y est moyennement accidenté par les derniers bourrelets montagneux. Enfin, au nord, il s'engage à travers le massif vosgien et se prolonge sur une suite de versants presque partout boisés.

Les deux Corps d'armée dont se compose la 1re Armée sont accolés sur cette vaste zone, mais sur des fronts de largeur très inégale. Le plan de manœuvre du général de Lattre consiste à exercer contre l'ennemi, dans la partie méridionale des Vosges, une pression forte et continue, de façon à le refouler si possible au-delà de la crête principale, ou tout au moins à l'attirer et à immobiliser ses réserves et, en même temps, à lancer une très forte attaque dans la trouée de Belfort, en vue de faire tomber cette puissante place et de pénétrer dans la plaine de Haute-Alsace, en direction de Mulhouse.

Ces deux missions si dissemblables supposent naturellement l'attribution de moyens proportionnés à l'importance des efforts à fournir.

C'est vers le 15 octobre que le général de Lattre de Tassigny décide de réaliser sa manœuvre, qui semblait viser jusque-là à une rupture du front ennemi des Vosges méridionales, mais n'avait cessé en réalité d'être préparée en vue d'une offensive par le sud, dans des conditions où la surprise devait être un facteur essentiel du succès.

Le glissement du dispositif vers le sud fut effectué en secret à la fin d'octobre et au début de novembre. Il eut pour effet de mettre la plus grande partie des forces blindées et de l'artillerie lourde à la disposition du général Béthouart, commandant le Corps de droite.

Ainsi la partie dynamique de l'opération se situe à la droite de l'Armée où l'offensive sera menée par tout le 1er Corps, progressant sur un secteur d'une quarantaine de kilomètres et par la droite du 2e Corps, aux ordres du général de Montsabert.

 

La nature du terrain de Montbéliard à Mulhouse

La trouée de Belfort ou, comme l'appellent les géographes, la porte de Bourgogne, comporte, de Montbéliard à Dannemarie, un sol très accidenté où les contreforts du Jura, au sud, et ceux des Vosges, au nord, viennent s'affronter et que découpent en crêtes multiples les affluents du Doubs, tous dirigés du nord au sud.

La place de Belfort en défend l'accès. Fortifiée par Vauban, remaniée et améliorée maintes fois depuis, elle a prouvé sa capacité de résistance en 1870-1871. Elle est entourée d'une ceinture de forts dont la valeur, grâce en particulier à leur site, n'est pas négligeable encore aujourd'hui. L'ennemi en a étendu et renforcé la puissance par toute une série d'organisations modernes : champs de mines et fossés antichars.

Plus à l'est la zone de Suarce, entre Delle et Dannemarie, domaine où l'eau hésite à se porter soit vers le Rhin, soit vers la Saône, est une mosaïque d'étangs et de marais. Elle est d'un parcours difficile quand les pluies ont gonflé le sol spongieux.

La plaine d'Alsace commence réellement au nord de la ligne Bâle-Altkirch-Dannemarie. Là, toutes les vallées descendant des Vosges et empruntées par les routes venues des cols de la chaîne principale, aussi bien que du Jura, convergent vers Mulhouse. Cette grande ville est située à 12 ou 13 kilomètres seulement du Rhin, mais elle en est séparée par la forêt de la Harth qui étend entre elle et le fleuve un écran de 8 kilomètres de largeur sur 25 de longueur.

En résumé, le terrain à parcourir était favorable aux défenseurs, d'autant plus que ses difficultés étaient renforcées par les fortifications couvrant la zone de Belfort.

 

La défense allemande

C'est sur les avancées de Belfort que les éléments de la 1re Armée française avaient dû suspendre leur poursuite, à la suite de la prodigieuse progression qui les avait amenés, presque d'un seul élan, de Toulon et de Marseille jusque dans l'est de la France. La situation s'était alors stabilisée et les Allemands avaient établi, de la région de Lure à la frontière suisse, un front solide.

La ligne de défense ennemie passait par Pont-de-Roide, Longevelle, la forêt de Granges et Ronchamp. Cette position était fortement organisée en profondeur et puissamment étayée par les défenses du camp retranché de Belfort.

 

Les phases de l'offensive de la 1re Armée

La bataille, menée du 14 au 28 novembre, peut être décomposée en trois phases bien distinctes :

1° Du 14 au 16 novembre : rupture de la position principale de résistance : bataille du Doubs.

2° Du 17 au 21 novembre : exploitation des premiers succès : poussée sur le Rhin près de Huningue. Prise de Mulhouse puis de Belfort : batailles de Mulhouse et de Belfort.

3° Du 22 au 28 novembre : manœuvre en tenaille contre les forces allemandes qui, parties de la région de Cernay, Thann et Dannemarie, se sont avancées au nord-est de Delle : manœuvre de Burnhaupt.

 

Rupture de la position de résistance allemande – Bataille du Doubs

Pour réussir la rupture, il était nécessaire de réaliser une surprise totale, puis d'allier force et vitesse en profitant du désarroi créé chez l'ennemi.

Le général de Lattre monte minutieusement l'opération. Le 1er Corps d'armée du général Béthouart reçoit mission de s'emparer des agglomérations industrielles de la région d'Héricourt et de Montbéliard, puis d'exploiter sur la direction Montbéliard-Dannemarie et de réduire les défenses de Belfort. Le 2e C.A. du général de Montsabert doit lier, par sa droite, son mouvement à celui du 1er C.A. et, par sa gauche, profiter de toute occasion favorable pour franchir les Vosges et descendre vers la plaine d'Alsace.

Pour réaliser la surprise, le 2e C.A. maintient une attitude agressive sur tout le front des Vosges; nos grandes unités blindées, l'artillerie légère sont portées dans la région de Vesoul et de Remiremont. Une campagne de fausses nouvelles est habilement orchestrée. Pendant ce temps, une quantité considérable de munitions et la grosse artillerie sont discrètement mises en place derrière le front d'attaque du Doubs.

L'ennemi mord à l'appât : il s'attend à une attaque à travers les Vosges et y renforce son dispositif.

Dans les deux nuits qui précèdent l'offensive, les unités qui étaient montées à l'ouest des Vosges gagnent sans heurt, silencieusement et tous feux éteints, leur base de départ.

L'attaque est fixée pour le 14 novembre à midi; elle doit s'effectuer en deux temps, d'abord entre Villersexel et le Doubs, puis entre le Doubs et la frontière suisse.

Le sol est détrempé et la neige recouvre les hauteurs. Le temps est épouvantable; cependant, une courte éclaircie dans la matinée permet de faire sortir deux «Piper Club» et d'accrocher les tirs d'artillerie.

A l'heure fixée, une formidable préparation d'artillerie s'abat sur les organisations allemandes soigneusement repérées et les unités du 1er C.A. partent presque aussitôt à l'attaque, sous des bourrasques de pluie et de neige. L'ennemi est complètement surpris; une avance de 5 kilomètres est réalisée au cours de l'après-midi; le général de division allemand Oschmann, qui faisait une tournée d'inspection, est tué, son officier d'ordonnance, capturé.

Le 15, l'attaque s'étend entre le Doubs et la frontière suisse; les défenses allemandes sont submergées.

Le 16, l'infanterie et les chars exploitent vigoureusement les succès de la veille, en dépit de l'ennemi qui cherche à s'accrocher à tous les accidents du terrain. Le 17, Héricourt est conquis et nos troupes s'emparent de Montbéliard après de violents combats de rues. Toutes les agglomérations autour de Montbéliard tombent, le 18, entre nos mains.

Le premier objectif est atteint : la bataille du Doubs est gagnée.


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Du Pont-de-Roide et de Delle à Dannemarie et à Altkirch puis à Mulhouse, les opérations de la Brigade Alsace-Lorraine.