«Combat», 11 novembre 1963, n° 6028, p. 2. «Monsieur André Malraux définit la politique culturelle de la France.»

Combat, 11 novembre 1963, n° 6028, p. 2.

 

Monsieur André Malraux définit la politique culturelle de la France.

 

Voici les passages essentiels de la déclaration faite samedi à l'Assemblée nationale par M. André Malraux.

«A l'Opéra, le pourcentage des places occupées a passé de 66% à 78% et on peut considérer qu'avec ce pourcentage le théâtre est plein, car, dans un théâtre rond, il y a des places que personne n'occupe jamais. A l'Opéra-Comique, de 38 à 44%, à la Comédie-Française il est de 74%, au Théâtre de France de 81%.

Opposer Paris à la province n'est pas juste s'agissant des théâtres subventionnés. Les théâtres nationaux sont des institutions nationales qu'aucune troupe des centres régionaux, même la meilleure, ne pourrait remplacer à l'étranger. Les centres dramatiques de province ont d'ailleurs eu 1.200.000 spectateurs.

J'en viens aux musées : le statut des conservateurs est entré en application. Les premières salles transformées du musée de Saint-Germain sont ouvertes au public. Les travaux se poursuivent au musée des Arts et traditions populaires, qui sera le plus moderne du monde et au Pavillon de Flore».

Le vieux Louvre va être dégagé. C'est, en effet, un palais enfoncé. La colonnade est construite sur un socle, qui existe : il a été recouvert par les jardins, mais devrait normalement être visible. Nous allons le dégager, sans gros frais, car le travail sera exécuté par le génie.

Dans les jardins, nous remplacerons un certain nombre de statues contestables par les statues de Maillol, que Mme Maillol vient de donner à la France. Nous en mettrons aussi aux Tuileries, ainsi que des œuvres de Rodin, tout en conservant des statues antiques de belle qualité.

Cette année, outre les grandes expositions commémoratives de Delacroix, du VIIIe centenaire de Notre-Dame et de Rodin, nous avons organisé à Paris les expositions d'œuvres d'Atlan, Dufy, Gromaire, Kandinsky, Charles le Brun et de l'art romain en Occident.

 

Les grandes expositions de 1964

En 1964, nous ferons la première grande exposition de l'école de Fontainebleau – à Fontainebleau même. La restauration de la galerie François 1er est achevée. Les fresques du Rosso sont dégagées. Les travaux portent actuellement sur celles du Primatice dans la salle de bal, et sur l'escalier de la duchesse d'Etampes. La France possédera bientôt le plus vaste ensemble de peinture maniériste du monde. Autres expositions de 1963 : Watteau et les tableaux de Frédéric II, les trésors de l'Art suédois, les arts anciens du Japon. Le nombre d'entrées a dépassé le million. En 1964, pour succéder aux grandes expositions d'art iranien et mexicain, nous organiserons des expositions de vierges romaines d'art hittite, thaïlandais, copte, et des rétrospectives de Toulouse-Lautrec et de Rouault. De ce dernier peintre, 900 toiles nous ont été données qu'il faut ajouter à la deuxième partie de la collection Walter, aux dons de M. et Mme Besson, de Mme Cuttoli, de Sonia Delaunay, de Mme Kupka, de Dunoyer de Segonzac, de M. Laugier : tous apportent à la France des œuvres irremplaçables, d'une valeur de 10 milliards d'anciens francs.

La reconstruction des bâtiments d'archives départementales se poursuit, elle est achevée dans quatre départements, en cours dans dix, et sera mise en train dans onze. Enfin, le projet du nouveau dépôt du département de la Seine est définitivement adopté.

En matière d'architecture, le projet de loi de programme concernant les sept monuments a été voté. Les travaux ont commencé. La loi sur les secteurs sauvegardés a également été votée. Elle nous permettra de sauver le quartier Saint-Jean à Lyon, et Avignon.

Le crédit ouvert pour la réparation des dommages de guerre passe de 15 à 32 millions de francs. On peut donc espérer l'achèvement de ces réparations pour 1970.

La zone culturelle du rond-point de la Défense a été défini et la conception de ses édifices confiée à Le Corbusier.

Le nettoyage du vieux Louvre, de l'Opéra est presque achevé. En 1964, ce sera le tour de la place du Panthéon.

Une véritable organisation des fouilles, depuis longtemps réclamée, a été mise en place.

L'inventaire monumental de la France est enfin entrepris.

Les expositions françaises à l'étranger ont accueilli plus de trois millions de visiteurs cette année.

Le centre interministériel des archives sera implanté dans la région parisienne, mais le lieu exact n'est pas encore choisi.

Un Comité interministériel de coordination muséologique est sur le point de voir le jour.

 

L'aide au théâtre privé

Quant aux théâtres privés, il est certain que la fiscalité qui les frappe doit être aménagée. Nous étudions la question, avec le ministère de l'Intérieur et le ministère des Finances. Un large accord de principe est déjà réalisé, et nous faisons tous nos efforts pour qu'une décision intervienne rapidement dans le sens souhaité par le rapporteur.

Je profite de cette occasion pour en finir avec le sujet des théâtres privés. Ils ont trouvé ici maints défenseurs, avec lesquels je suis plus d'accord qu'il ne semble. A cela près qu'ils veulent les défendre dans la mesure où ils sont bons, alors que je serais tenté de les défendre dans la mesure où ils sont mauvais.

Je m'explique. Si l'Etat subventionne les théâtres nationaux c'est pour qu'ils jouent, dans l'ensemble une certaine catégorie de pièces. Il est faux que le gouvernement ne veuille pas qu'on joue Labiche. Ce qu'il ne veut pas, c'est dépenser 500 millions pour faire jouer Labiche.

Tout cela est maintenant fini. Les théâtres nationaux jouent le grand répertoire français avec un immense succès, et on continue à jouer Labiche, quand on en a envie. Mais, en généralisant, on en arriverait, en toute innocence, à détruire la liberté du citoyen : celui qui a envie de voir une pièce détestable ne le pourrait pas. Il est donc extrêmement souhaitable de défendre le droit des théâtres privés à jouer ce que veulent les spectateurs.

Ce n'est donc pas sur les principes que je me sépare des défenseurs du théâtre privé. C'est parce que mes possibilités sont limitées. Aider les théâtres privés, je le veux bien, mais à condition que le ministre des Finances ne me réponde pas que l'argent qui leur sera accordé sera retiré à la Comédie-Française. C'est ainsi que le problème se pose pour moi.

Bien entendu le théâtre n'est pas une industrie comme les autres. Il doit donc recevoir un traitement particulier. Sous quelle forme ? Sous forme de détaxation, c'est certain. Il est certain aussi que nous parviendrons à obtenir ce que nous désirons, au moins en partie. Et puis, il faut nuancer les jugements. N'oublions pas qu'il existe 45 théâtres privés à Paris, plus qu'à New York. Disons aussi que si le théâtre avait fait pour sa propre défense les mêmes efforts que la profession cinématographique, tout serait plus facile. Donc, que la profession se réforme, et le gouvernement, sans aucun doute, l'aidera en lui accordant des détaxations.

 

La crise du cinéma

La crise du cinéma se manifeste dans la plupart des pays du monde. Le nombre des entrées est tombé de 671 à 453 millions en Allemagne fédérale, de 755 à 415 millions en Grande-Bretagne, d'un milliard 127 millions à 662 millions au Japon. Aux Etats-Unis, en revanche, on assiste à un renversement de tendance : 2 milliards 210 millions d'entrées au lieu de 2 milliards 185 millions. C'est peu de chose, mais la baisse semble stoppée. On peut donc penser qu'à un certain point de saturation en postes de télévision, le cinéma retrouve ses chances.

L'arrêté sur les prêts à l'exploitation est actuellement à la signature du ministre des Finances. Il précise le taux préférentiel qui sera consenti à tous ses exploitants et comporte des dispositions en faveur des exploitants qui installeront de nouvelles salles dans les grands ensembles.

Parallèlement, nous encourageons les distributeurs à se grouper pour surmonter la crise. Il est souhaitable que l'on parvienne à créer un service commun de distribution matérielle des copies. Mais vouloir concentrer toutes les sociétés actuelles en une organisation unique aboutirait à fabriquer une sorte de monstre. Nous devons garder à la distribution une certaine souplesse.

On a beaucoup parlé de la concurrence que la télévision fait au cinéma. Le problème est délicat : il s'agit de faire en sorte que les charges fiscales soient réparties équitablement. On avait demandé au gouvernement de supprimer les projections de films le samedi et le dimanche. Un premier pas a été fait dans cette voie puisque la télévision ne donne plus qu'un film le dimanche à 17 heures. Mais ne nous faisons pas trop d'illusions : de récents sondages prouvent que les projections de films sont loin d'être les émissions qui attirent le plus les spectateurs auditeurs.

On a dit encore qu'une heure de spectacle à la télévision revenait à 200.000 francs, tandis que la location d'un film s'élevait à 10.000 francs. Ce sont là des chiffres extrêmes, qui ne se vérifient pas toujours. Au surplus, la RTF est propriétaire des émissions qu'elle produit, le distributeur se contente de louer les films. Déjà, avec la première chaîne, nous avons des difficultés pour nous procurer des films commerciaux. Vous savez que, sauf exception, les films doivent avoir plus de cinq ans et être visibles par tous.


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