Tête d’obsidienne ou crâne de cristal ? – article

Le texte que Malraux écrivit peu après la mort de Picasso, La Tête d’obsidienne (1974), doit son titre à une étrange oeuvre d’art aztèque, nommée précisément la «Tête d’obsidienne». Cette pièce se trouverait au Musée national d’anthropologie de Mexico, tout environnée de miroirs qui reflèteraient le passage des nuages dans le ciel. Malraux explique que la Fondation Maeght attend la «Tête» : elle doit prendre place dans l’exposition qu’il va incessamment ouvrir. Celle-ci, organisée à Saint-Paul-de-Vence en été 1973, s’intitule André Malraux et le musée imaginaire. La «Tête d’obsidienne» cependant n’y arrivera jamais, pas plus qu’elle n’est en fait visible à Mexico puisqu’elle s’y confond avec l’insaisissable du ciel : l’objet n’existe pas. La «Tête» est un «faux» littéraire, une pure fiction d’écrivain.

Ce qui est intrigant, c’est que la «Tête» a été tenue longtemps par les meilleurs spécialistes de Malraux pour une «authentique œuvre d’art» et qu’elle doit plusieurs traits à des objets par ailleurs célèbres. En premier lieu, la Tête de mort de Picasso, sculpture de bronze et de cuivre de 1943, que La Tête d’obsidienne évoque (elle est aujourd’hui au musée Picasso de Paris).

Vient ensuite le Crâne aztèque de Texcoco, en obsidienne précisément (collection Robert Woods Bliss, Washington D.C.). Malraux a pu le voir  à Paris lors d’une exposition d’art mexicain en 1952 ou dans l’un des nombreux livres ou catalogues présentant la collection (Berlin, Londres, 1956; New York, Bâle, Londres, 1957; Milan, 1958; Olten – Fribourg-en-Brisgau,1959; Dumbarton Oaks / Washington, 1963; Berlin, 1965; Zurich, 1970, etc.).

Enfin ce sont les Crânes de cristal «aztèques» rendus célèbres par des croyances liées à certains courants ésotériques modernes. En 1924, l’explorateur anglais Frederick A. Mitchell Hedges affirme avoir découvert un crâne de cristal dans la forêt  du Honduras britannique (l’actuel Belize) : l’objet, doté prétendument de vertus magiques puissantes, ne sera pourtant montré au public qu’après la Seconde Guerre mondiale. Des croyances liées au Nouvel Age s’empareront ensuite de la légende et attribueront la paternité des crânes tantôt aux anciens Mayas, tantôt aux hommes de l’Atlantide, tantôt à des êtres extraterrestres – jusqu’à l’entrée en scène d’Indiana Jones en 2008 et à l’échéance du 21.12.2012, date redoutée de la jointure de deux ères, selon le système calendarique maya.

Outre celui de Mitchell Hegdes, les plus fameux «crânes de cristal» se trouvent, le premier, au British Museum, le deuxième au musée du Quai Branly, le troisième au Smithsonian Institute de Washington. Une photographie du premier figure même à la fin des Voix du silence (Œuvres complètes, t. IV, p. 895) et a été choisie pour illustrer la couverture de La Tête d’obsidienne parue dans la collection «Le grand livre du mois» (1974), explicitant ainsi parfaitement les reflets cristallins censés rayonner autour de la «Tête», au Musée de Mexico.

Ces crânes de cristal ont été considérés naguère comme des chefs-d’œuvre de l’art aztèque, figurant Mictecacithuatl, dieu de la mort. Toutefois on les a soupçonnés depuis longtemps d’être des faux diffusés après 1870 par le soi-disant américaniste mais avéré aventurier farfelu Alphonse Pinart et par l’antiquaire Eugène Boban Duvergé, fin connaisseur des pratiques des faussaires. En 1971, l’entreprise Hewlett-Packard a publié les résultats d’un examen technique mené dans ses laboratoires : le crâne de Mitchell Hedges n’est ni méso-américain ni ancien. On peut penser que Malraux n’ignorait ni ces doutes ni ces conclusions.

Une enquête menée en 1992 par Jane Walsh, anthropologue au Smithsonian’s National Museum of Natural History, a établi la facture moderne du crâne du Smithsonian. De récentes expertises réalisées au British Museum et au Louvre ont prouvé l’origine de leur fabrication : c’était en Allemagne méridionale, dans les années 1870. 

cp / article mis en ligne le 12 février 2009.

 

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  Le crâne de cristal «aztèque»
du British Museum

 Le crâne de cristal «aztèque» du Musée du Quai Branly (anciennement au Musée du Trocadéro et au Musée de l’homme)
 

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 Eugène Boban (1834-1909), antiquaire  Jeanne McLaren Walsh, au Smithsonian Institution de Washington

 

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La jaquette de l’édition du Grand Livre du mois, août 1974 (la collection blanche date d’avril 1974).
Le crâne de cristal du British Museum.

 

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Tête de mort, bronze de Picasso (1943).
Musée Picasso, Paris.
Crâne aztèque, obsidienne,
collection Wood Bliss, Washington.

 


Bibliographie

  • Art mexicain, du précolombien à nos jours, avant-propos de Jean Cassou, préface de Fernando Gamboa, t. I, Paris, Les Presses artistiques, 1952. Catalogue de l'exposition du même nom présentée au Musée national d'art moderne de Paris, de mai à juillet 1952.
  • BIETRY-RIVIERRE, Eric : «Le Louvre résout l’énigme du crâne de cristal», Le Figaro, 18 avril 2008.

    Lien vers l’article en ligne.

  • «History of hokum ?», Measure. For the men and women of Hewlett-Packard, février 1971, p. 8-10. (www.hparchive.com).
  • Indigenous Art of the Americas, Collection of Robert Woods Bliss, Washington D.C., National Gallery of Art – Smithsonian Institution, 1947. [P. 118, pl. 113 : «Obsidian» / «Head or skull. Aztec».]
  • NOEL, Jean-Claude, «La Tête d’obsidienne», inédit, texte en ligne sur «malraux.org.» Lien vers l’article.
  • RIVET, Paul; FREUND, Gisèle : Mexique précolombien, Neuchâtel. éd. Ides et Calendes, 1954, (coll. «Ides photographiques», n° 8).
  • De ROUX, Emmanuel : «Propriétés de grands musées ou de groupuscules New Age, ces pièces taillées dans une roche très dure sont des faux et ne sont en rien des témoignages de la civilisation aztèque. Treize crânes de cristal et une légende», Le Monde, 16 mai 2008, p. 3.

    L’article dans les archives du Monde (article payant).

  • WALSH, Jane MacLaren : «Crystal Skulls and other problems. Or, “Don’t look it in the eye”», in HENDERSON, Amy; KAEPPLER, Adrienne L. [édit.], Exhibiting Dilemmas. Issues of representation at the Smithsonian, Washington – Londres, Smithsonian Institution press, 1997, p. 116-139.
  • WALSH, Jane MacLaren : «Legend of the Crystal Skulls. The truth behind Indiana Jones’s latest quest», Archeology, A publication of the Archeological Institute of America, vol. 61, n° 3, mai-juin 2008, p. 36-41.

    Lien vers l’article en ligne.

Romans de science-fiction relevant des rêves d’ésotérisme ou du New Age :

  • COLIN, Arthur : Le message des crânes de cristal, Paris, éd. Alphée, 2007, (coll. «Roman Initiation»)
  • CRUSOL, Stéphane : Les pouvoirs magiques des crânes de cristal, Paris, éd. Cristal, 2008.
  • MORTON, Chris; THOMAS, Ceri-Louise : Le mystère des crânes de cristal, trad.de l’américain par E. Scavée, Paris, éd. J’ai lu, 2004, (coll. «Aventure secrète»).

Il existe une douzaine d’ouvrages de ce type en anglais.

Webographie

 

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Au dossier des «crânes de cristal» :

«Les Occidentaux connaissaient les légendes mayas et aztèques. Celles-ci avaient établi que les crânes de cristal, au nombre de treize, provenaient de l’Atlantide, apportés en Amérique préhispanique par les peuple des Atlantes. Ces crânes étaient dotés de pouvoirs surnaturels et recélaient des informations sur les origines de l’homme et ses fins dernières. Les prêtres mayas et aztèques les utilisaient pour interroger les dieux et prophétiser l’avenir. Selon les Mayas, la vie avait commencé dans les «douze mondes», onze qui nous sont inconnus mais le douzième étant la Terre. La masse fabuleuse des connaissances des onze mondes aurait été condensée, stockée dans les treize crânes et donnée aux humains par le truchement d’«Anciens», offrant de fait la connaissance universelle aux hommes. Quatre civilisations auraient vu le jour : l’Atlantide, la Lémurie, les Mu et les Mieyhun. Les treize crânes étaient religieusement entreposés dans une arche sacrée; les Olmèques, les Mayas puis les Aztèques furent chargés de les garder. Or, les Aztèques commirent l’irréparable en les dispersant après la conquête espagnole. Un acte maudit, censé entraîner la fin du monde le 21 décembre 2012. Cette date représentait pour les Mayas la fin du Grand Cycle 13-baktun de leur calendrier (13 baktuns = 13 cycles de 144 000 jours). A la fin de ce cycle, qui a duré 26 000 ans, survient le Changement d’Age, le temps de la Grande Transition vers ce que les Mayas appelaient l’Age Itza, ou Age de la Lumière et de la Sagesse dans la conscience de la Multidimensionnalité… Seul antidote pour empêcher que la Terre ne «bascule» sur elle-même comme il est spécifié dans les légendes mayas : aligner les treize crânes de cristal afin que l’harmonie soit restaurée !

Elisabeth QUIN, «Le cristal rit. Esotérisme et imposture», in Le Livre des vanités, Paris, éd. du Regard, 2008, p. 121.

 

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© «www.malraux.org», Présence d’André Malraux sur la Toile, 2009.

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