D/1948.02.21 — André Malraux : «A propos de la réunion des cadres. A des compagnons de la Résistance»

D/1948.02.21 — André Malraux, «A propos de la réunion des cadres. A des compagnons de la Résistance», Le Rassemblement [Paris], n° 44, 21 février 1948, p. 1 et 2.


 

 André Malraux

 

A propos de la réunion des cadres

A des compagnons de la Résistance

 

Extrait 1 (début du discours) :

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à la limite de la Corrèze et de la Dordogne, dans ce maquis d'arbres nains semblables aux chênes rabougris de l'Ebre, où vous vous étiez réfugiés parce que les Allemands les trouvaient trop bas pour cacher quelqu'un, et où vous faisiez six cents mètres à quatre pattes pour vous réunir. Nous étions encore ensemble devant Dannemarie, dont l'incendie au ras de la nuit rougissait l'immensité de la gelée blanche, transis devant les longues ombres de notre première colonne de prisonniers allemands. Les premières ombres libératrices…

Et nous nous sommes enfin retrouvés ici, unis dans ce Rassemblement semblable à nos troupes d'Alsace en haillons – par bien des points – aux côtés du premier chef que (depuis combien d'années ?) la France se soit donné sans avoir envie d'en rire.

 

Extrait 2 (fin du discours) :

Ecoutez bien : les chers journaux que vous connaissez ont prétendu que nos conseillers municipaux de Bourges voulaient débaptiser l'avenue Jaurès pour lui donner le nom du général Leclerc. C'est – bien entendu – un mensonge éhonté. Ce qui fut demandé, c'est que l'avenue Leclerc continuât l'avenue Jaurès.

Parmi les moments où la générosité, pour le monde, avait la figure de la France (souvenez-vous de la phrase des Israélites du Rhin : «Dire liberté, c'est dire : Merci à la France…»), il y en eut un où cette générosité s'appela Jaurès. Socialistes, ses héritiers qu'en avez-vous fait ? Le ministère Ramadier ! Nous vous le disons clairement : nous retrouverons cette voie disparue.

Il n'y a pas si longtemps que les ouvriers socialistes combattaient à nos côtés et, qu'on le veuille ou non, la place est restée libre. Puisse, d'un bout à l'autre de la France, s'étendre une longue voie imaginaire où s'unit celui qui fut assassiné lorsqu'il venait de dire : «Et maintenant, il ne reste que la France» et celui pour qui la France resta présente jusqu'au fond du désert; une longue voie où la main généreuse serre l'épée brisée ! Ces hommes qui ne se fussent peut-être pas compris se rejoignent pour nous au fond fraternel de la mort…

Nous avons certes, compagnons, bien d'autres choses à nous dire. Puisque je vous parle ici pour la première fois, j'ai voulu parler d'abord à votre cœur. Nous aurons raison parce qu'un implacable destin montre de jour en jour davantage que nous avions raison. Mais pour que vaille la peine d'avoir raison quand il s'agit des hommes, peut-être faut-il d'abord, comme nous l'avons fait samedi, retrouver ensemble le langage fraternel de la fierté.

 

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Jean Jaurès