André Malraux, «Pour la liberté de l'esprit», Le Rassemblement [Paris], n° 84, 27 novembre 1948, p. 6. Compte rendu d'une «réunion consacrée à la définition et la sauvegarde de la Liberté de l'Esprit» contenant des fragments d'une intervention de Malraux.
André Malraux
Pour la liberté de l’esprit
Extrait :
Le grand problème absurde de notre époque, c'est qu'elle ne nourrit plus, pour satisfaire le vieux besoin légendaire de l'humanité, que deux sortes de rêves collectifs.
La première sorte s'exprime en France dans le pire cinéma, les hebdomadaires du type prétendument américain, qui ressortissent à une notion du monde que nous pourrions appeler la notion d'Artagnan : l'abêtissement au bénéfice du romanesque.
La seconde, dans le système organisé de mensonges du journal l'Humanité – système qui se fonde non plus sur le complexe d'Artagnan, mais sur le complexe de Triboulet. Vous avez lu Le Roi s'amuse. Vous savez comme moi que Triboulet, qui découvre la faiblesse du roi François 1er, parce qu'il vient de coucher avec sa fille, vient lui faire un magnifique discours en trois points dans le genre : «Sire, on va tout dire, vous n'y comprenez rien». Je ne peux pas ouvrir l'Humanité sans voir que tous ses articles sont signés Triboulet.
Le caractère décisif de l'esprit au temps de la machine, disons-le clairement, est l'infantilisme. Et notre lutte principale, en ce moment, c'est la lutte contre l'infantilisme sous toutes ses formes comme c'est la lutte contre les techniques qui ont permis le développement de cet infantilisme, que ce soit sur le plan d'Artagnan ou que ce soit sur le plan Triboulet, croyez-le bien.
