D/1959.11.17 — André Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale le 17 novembre 1959»

D/1959.11.17 — André Malraux : «[Intervention à l'Assemblée nationale, 2e séance du 17 novembre 1959]», intervention  au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 1960. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Assemblée nationale [Paris], n° 79 AN, 18 novembre 1959, p. 2498-2500.


 

 

André Malraux

 

Assemblée nationale – 2e Séance du 17 novembre 1959

 

Fin du discours :

Mais il est évident que la France ne peut jouer son rôle dans le monde que si elle le joue en France même, et de là découle l'importance des Maisons de la culture. Trois hypothèses dominent en France les problèmes de culture; il n'y en a pas quatre.

La première, c'est la culture totalitaire, et nous l'écartons.

La seconde, c'est la culture bourgeoise, c'est-à-dire, pratiquement, celle qui n'est accessible qu'à ceux qui sont assez riches pour la posséder.

De même que la princesse de Tête d'or, après avoir répondu aux rêves des hommes qui l'entourent, découvre derrière son masque d'or un visage humain, prenons garde que nous entendons retrouver le visage humain de la culture et non pas derrière le masque d'or quelques sacs d'argent. (Applaudissements.)

Si nous n'acceptons ni la première ni la deuxième hypothèse, si noble ou si usé que soit le mot démocratie, alors il n'y a qu'une culture démocratique qui compte et cela veut dire quelque chose de très simple.

Cela veut dire qu'il faut que, par ces Maisons de la culture qui, dans chaque département français, diffuseront ce que nous essayons de faire à Paris, n'importe quel enfant de seize ans, si pauvre soit-il puisse avoir un véritable contact avec son patrimoine national et avec la gloire de l'esprit de l'humanité.

Il n'est pas vrai que ce soit infaisable; c'est presque assez facile et bien d'autres choses sont plus difficiles.

L'enseignement peut faire qu'on admire Corneille ou Victor Hugo. Mais c'est le fait qu'on les joue qui conduit à les aimer. La culture est ce qui n'est pas présent dans la vie, ce qui devrait appartenir à la mort. C'est ce qui fait que ce garçon de seize ans, lorsqu'il regarde peut-être pour la première fois une femme qu'il aime, peut réentendre dans sa mémoire, avec une émotion qu'il ne connaissait pas, les vers de Victor Hugo :

 

Lorsque nous dormirons tous deux dans l'attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau…

 

Il y a un héritage de la noblesse du monde et il y a notamment un héritage de la nôtre. Que de tels vers puissent être un jour dans toutes les mémoires françaises, c'est une façon pour nous d'être dignes de cet héritage, c'est exactement ce que nous voulons tenter.

Mesdames, Messieurs, c'est ce que je tente en votre nom. Je sais que ce que je souhaite est ce que vous souhaitez tous. Je vous remercie de le souhaiter. Je vous remercie de me faire confiance pour l'accomplir, au nom des occupations qui ont rempli ma vie. (Vifs applaudissements.)

 

Télécharger le discours.

 

laCallas

 

La Callas : «Je n’irai pas chanter dans ces décours poussiéreux.»

 

an1959