D/1960.10.21 — André Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale»

André Malraux, «[Intervention à l'Assemblée nationale, séance du 21 octobre 1960]», Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Assemblée nationale [Paris], n° 70 AN, 22 octobre 1960, p. 2703, 2704-2705, 2708, 2708-2709.


 

André Malraux

 

Intervention à l'Assemblée nationale, séance du 21 octobre 1960

(Défense de l'action du ministère dans les domaines du théâtre et du cinéma)

 

Mesdames, Messieurs, j'ai à répondre à un très grand nombre de questions. D'abord à une question d'ensemble posée par l'honorable parlementaire, d'une grande gravité et à laquelle je répondrai comme il convient, à loisir; ensuite à d'innombrables questions auxquelles je répondrai par écrit, sauf pour les plus importantes, auxquelles je répondrai au passage.

Je ne suis d'accord avec à peu près aucune des informations qui viennent de vous être données.

Avec stupéfaction, j'ai entendu affirmer que le ministère des Finances était d'accord sur une détaxe relative aux théâtres privés, alors que je tente d'obtenir cette détaxe depuis près d'un an, alors que les entretiens entre mes services et ceux du ministère des Finances, entre M. le ministre des Finances et moi-même, sont d'une extrême précision. J'en possède des traces en ce qui concerne les services et le souvenir pour ce qui est des conversations avec M. Baumgartner.

Ce prétendu accord des Finances qui n'attendrait plus que le mien, alors que je suis demandeur, tout cela, j'ai le regret de le dire, me semble absolument chimérique.

Je crains qu'il ne soit pas plus exact de parler de cette promesse du ministère des Finances qu'il n'est exact de parler d'invention du mot «informel» par moi. Le mot «informel» existait des années avant l'exposition à laquelle vous pensez. Je ne l'ai pas inventé; je le regrette car il a fait fortune. (Sourires.) Mon goût pour l'art informel n'est ni plus grand ni moins grand que celui que j'éprouve pour n'importe quelle autre forme d'art.

Nous allons faire deux grandes expositions, l'une d'art informel, l'autre d'un des plus grands peintres figuratifs vivants. Je me permets de vous rappeler que j'ai écrit il y a trente ans le premier grand article sur Rouault qui n'est pas que je sache un artiste informel.

Tout ceci manque absolument de sérieux et j'ai eu le sentiment d'entendre l'admirable tirade de Ruy Blas que j'aurai plaisir à écouter dans quelques jours, comme vous-même, à la Comédie-Française. (Sourires.)

Pour parler sérieusement, je voudrais apporter à la question posée quelques nuances dont l'importance n'échappera pas à l'Assemblée. Je ne vois pour ma part rien de semblable à la crise généralisée dont elle suggère l'existence, mais seulement une crise particulière limitée à l'exploitation des salles. On vient de vous expliquer longuement le désastre du théâtre en France. Vraiment, Mesdames, Messieurs, qui, en France, a le sentiment que nous sommes depuis un an seulement en face d'un désastre du théâtre et spécialement des théâtres nationaux, à part l'honorable parlementaire auquel je réponds ?

Précisons, en commençant par les théâtres nationaux. Là il ne peut être question d'aucune crise.

A la Comédie-Française, les recettes au 31 juillet 1960 font apparaître, par rapport au 31 juillet 1959, une plus-value de 20.076 nouveaux francs. Or, les recettes de 1959 étaient déjà supérieures à celles des années précédentes.

Au Théâtre de France, à un déficit d'environ 375.000 nouveaux francs – j'arrondis volontairement les chiffres – de l'exercice 1959, dû principalement à la fermeture du théâtre pour la préparation du premier spectacle, s'est substitué, au 31 août 1960, un excédent de recettes de plus de 300.000 nouveaux francs.

Au Théâtre National Populaire, l'équilibre des recettes et des dépenses sera réalisé en fin d'année.

Enfin, à la Réunion des théâtres lyriques nationaux – Opéra et Opéra-Comique – les recettes attendues avaient été fixées à 5.700.000 nouveaux francs; les recettes réelles atteindront 6.250.000 nouveaux francs en fin d'année.

Quant à la production, c'est-à-dire aux représentations données par ces théâtres, voici ce qu'il en est :

Au cours des sept premiers mois de l'année, la Comédie-Française a joué 52 œuvres différentes, aussi bien à Paris qu'en province et dans neuf pays étrangers.

Le 4 novembre, la première représentation de Ruy Blas marquera le début des réalisations qu'auront permises les réformes apportées à ce théâtre et l'action de son nouvel administrateur.

Le Théâtre de France, de septembre 1959 à la fin d'août 1960, a donné 169 représentations en France, au Japon, en Israël, en Grèce et en Yougoslavie; une série de matinées culturelles ainsi que des concerts de qualité incontestée.

Le Théâtre National Populaire a joué à Paris et en banlieue un répertoire enrichi et a donné 122 représentations en province et à l'étranger, en Belgique, en Suisse, en Autriche, en Italie et en Argentine.

Quant à la Réunion des théâtres lyriques nationaux, continuant sa tradition de grandes créations comme Les Indes galantes, elle a montré notamment Carmen et La Tosca et appelé à Paris des artistes lyriques mondialement admirés. Il semble qu'on lui en fasse grief; soit ! Elle commencera ce soir, avec le Roi David, à donner l'hospitalité aux meilleures créations de nos théâtres de province.

Un répertoire de créations modernes a commencé, à l'Opéra-Comique, avec Les Adieux de Landowski, Vol de nuit, de Dallapiccola, deux œuvres qui, parmi d'autres activités, marquent le début d'un renouveau salle Favart.

Examinons maintenant la situation financière de ces théâtres.

Malgré l'augmentation des recettes dont j'ai fait état, elle a été lourdement affectée par un accroissement important des dépenses de personnel. Celles-ci, on vous l'a dit, représentent de 75 à 85 % des dépenses totales. Les augmentations de salaires consenties à partir du 1er janvier 1960 entraînent automatiquement une augmentation correspondante des subventions, étant donné que, dans l'économie présente, le principe d'une augmentation implique le dégagement, sur le budget de l'Etat, des crédits nécessaires à son financement. Les décrets des 25 juillet et 17 août 1960 ont donc ouvert aux théâtres nationaux un crédit supplémentaire de 2.130.000 nouveaux francs, dont une part seulement provenait de crédits nouveaux, l'autre part étant financée par des crédits prélevés sur d'autres chapitres.

Les centres dramatiques ne semblent pas d'avantage en état de crise.

 

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