D/1960.12.02 — André Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale»

André  Malraux, «[Intervention à l'Assemblée nationale, séance du 2 décembre 1960]», réponse à une question concernant l'exportation de la Bonne Aventure de La Tour. Journal officiel de la République française. Débat parlementaires. Assemblée nationale [Paris], n° 98 AN, 3 décembre 1960, p. 4260.


 

André Malraux

 

Intervention à l'Assemblée nationale – séance du 2 décembre 1960

(Sur l'exportation aux Etats-Unis de La Bonne Aventure de La Tour)

 

Mesdames, Messieurs, la première partie de la question qui m'est posée appelle une précision : je n'ai nullement donné mon accord à l'exportation du tableau de Georges de La Tour. Je n'avais pas à le donner : lorsque j'ai assumé la charge qui est aujourd'hui la mienne, les musées nationaux s'intéressaient à ce tableau depuis dix ans et il avait reçu son visa d'exportation depuis deux mois.

Il m'incombe donc seulement de contrôler les conditions dans lesquelles l'autorisation d'exportation a été donnée; de prendre les sanctions qu'elle impliquerait, si elle devait en impliquer et d'étudier une réglementation susceptible de mieux protéger notre patrimoine artistique, puisque cette exportation montre qu'il l'était insuffisamment.

Pour le premier et le second point, l'enquête administrative est terminée depuis quelques semaines. Elle a conclu que l'affaire ne devait pas être classée. Mais nos juristes ne pourront déposer leur dernier rapport et la dernière instance ne pourra siéger qu'au début du mois prochain.

Monsieur le Député, vous avez bien voulu considérer comme moi, lorsque nous nous sommes entretenus de cette question que, jusque-là, un débat public risquait d'introduire une passion inutile dans un domaine où la justice a d'abord besoin de sérénité. Que l'Assemblée ne se méprenne pas au sens de mes paroles : il ne s'agit en rien d'écarter ce débat : il s'agit de le différer afin que les droits de la défense y soient pleinement sauvegardés.

Pour le troisième point : on a beaucoup fait état de la loi de 1913 qui permettrait de classer les tableaux, mais son application rencontrerait souvent des obstacles majeurs. Dès que nos jurisconsultes auront terminé leur étude, nous la soumettrons au Conseil d'Etat, directement concerné, puisque le classement, pour être prononcé sans l'accord des propriétaires devrait être approuvé par lui.

Par contre, j'envisage que toute demande d'exportation d'une œuvre, susceptible de faire partie du patrimoine national, soit désormais soumise au Conseil de la réunion des musées nationaux – ce que l'on appelait jusqu'alors Conseil des musées de France – auquel est déjà soumise l'acceptation des dons et legs. Cette mesure, qui appellera quelques compléments, eût vraisemblablement suffi à rendre impossible l'exportation de La Bonne Aventure; sinon elle l'eût assez fortement légitimée pour que votre inquiétude, Monsieur le député, devint sans objet.

 

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latourny

 

Au Met à New York