D/1964.05.12 — André Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale le 12 mai 1964)»

André Malraux : «[Intervention à l'Assemblée nationale, séance du 12 mai 1964]», intervention au cours de la discussion portant sur un projet de loi sur l'application du principe de réciprocité en matière de protection du droit d'auteur. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Assemblée nationale [Paris], n° 31 AN, 13 mai 1964, p. 1148, 1149 et 1150.


 

 (Protection de la propriété littéraire et artistique sur le plan international)

 

Assemblée nationale – Séance du 12 mai 1964

 

         André Malraux. – Le Gouvernement s'oppose à la motion de renvoi.

…………………………………………………………………………………………….

         André Malraux. – Le Gouvernement accepte l'amendement, mais souhaiterait qu'il soit rédigé de la façon suivante :

«Dans le 1er alinéa de l'article unique, après les mots : “dans le cas où”, insérer les mots : “après consultation du ministre des affaires étrangères, il est constaté”…»

Pour être plus clair, je me permets de relire l'article tel qu'il serait alors rédigé :

         «Sous réserve des dispositions des conventions internationales auxquelles la France est partie, dans le cas où, après consultation du ministre des affaires étrangères, il est constaté qu'un Etat n'assure pas aux œuvres divulguées pour la première fois en France sous quelque forme que ce soit…» 

         Sous cette forme, le Gouvernement accepte la modification que souhaite M. le président de la commission.

…………………………………………………………………………………………….

         André Malraux. ­– Vous savez du reste, monsieur Garcin, que si ce texte était destiné à défendre les artistes français contre certains intérêts de l'Union soviétique, je n'hésiterais pas à le dire.

         Alors, avec la même netteté, je vous dis : vous vous trompez. Le parti communiste de l'Union soviétique n'est pas en cause, ou plutôt c'est l'Union soviétique qui est en cause techniquement.

         Il y a – et c'est tout à fait différent – l'ensemble des problèmes auxquels nous avons affaire. Nous ne pouvons pas les régler un par un. L'Etat a besoin de textes essentiels pour que nos négociateurs soient armés. Cela ne veut pas dire qu'ils doivent avoir ce que vous avez appelé un esprit de rétorsion. Dans ce domaine, à bien des égards vous avez raison.

         Il ne s'agit pas de rétorsion, mais il s'agit de ne pas admettre que des textes nous laissent désarmés en face de pays qui ne sont en rien des ennemis et que je préfère ne pas nommer, disons des pays d'Asie centrale ou d'Asie méridionale.

         Cette situation ne peut pas durer. Et s'il faut que l'Union soviétique se trouve mise en cause, si vous permettez, en même temps que le Yémen, eh bien ! qu'elle le soit.

         Depuis plus d'un siècle, la France protège tous les créateurs des œuvres de l'esprit. Depuis plus d'un siècle – et il n'y avait pas foule alors – cette protection n'est soumise à aucune condition.

         Dans certains cas, unilatérale et exercée sans aucune contrepartie, cette protection s'applique aux auteurs étrangers, à quelque nation qu'ils appartiennent et quelle que soit la législation de leur pays d’origine.

         Cette tradition, en effet, se fonde sur la conception libérale que l'on a cru destinée à s’imposer partout.

         Aussi bien a-t-elle accompli, en effet, d'immenses progrès : au cours des cinquante dernières années, les principaux Etats ont adhéré soit à des conventions internationales multilatérales, telles que l'Union de Berne en 1886 et la Convention de Genève en 1952, soit à des conventions bilatérales. Et c'est naturellement à des conventions bilatérales que nous voulons aboutir.

         Malheureusement, divers pays ont refusé ou différé la signature de tels actes; si bien qu'un mouvement législatif d'abord restreint s'est étendu dans le monde, en vue d'introduire, sous des formes diverses, l'idée de réciprocité internationale dans le régime de protection des créateurs intellectuels.

         Réciprocité, cela veut dire qu'un pays n'accepte d'étendre aux œuvres de créateurs étrangers la protection qu'il assure aux œuvres de ses nationaux que si ceux-ci bénéficient dans les pays étrangers considérés d'un minimum de protection juridique.

         Cette évolution historique est retracée avec précision dans le rapport de la commission des lois.

         La France était cependant restée fidèle à sa position initiale. On en trouverait encore une illustration dans la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, qui s'est délibérément, à l'encontre des vœux exprimés de divers côtés, refusée à traiter les problèmes qui se posaient en dehors du cadre national. L'attitude de nos tribunaux devait donc être maintenue dans le sens de la tradition.

         Il n'est pas souhaitable que cette situation paradoxale se prolonge.

         Le Gouvernement propose donc de restreindre les droits des créateurs d'œuvres divulguées pour la première fois sur le territoire d'Etats qui ne respectent pas les principes fondamentaux admis en cette matière, soit que ces Etats refusent à nos auteurs une protection comparable à celle du droit français, soit qu'ils établissent une discrimination de caractère essentiel entre leurs nationaux et les étrangers.

         Mais le projet de loi présenté par le Gouvernement ne porte pas atteinte à l'essentiel des attributs d'ordre intellectuel et moral qui s'attachent au droit de propriété littéraire et artistique : à ce souci répond le deuxième alinéa de l'article unique du projet de loi.

         La France continuera à assurer, unilatéralement si cela est nécessaire, la fidélité des œuvres divulguées à l'étranger, et nos tribunaux pourront conformément aux règles en usage, condamner toute falsification ou dénaturation de ces œuvres qui serait commise en France, ce qui veut dire, Mesdames, Messieurs, que les tribunaux français condamneraient quiconque fausserait la signification communiste d'une œuvre communiste publiée en France.

         Le droit, pour l'auteur, d'autoriser ou de refuser la reproduction ou l'exécution de son œuvre, et d'autre part les attributs d'ordre patrimonial, est seul visé et soumis au principe de réciprocité.

         Le projet de loi pose d'ailleurs en principe que la condition de réciprocité est implicitement satisfaite par les Etats qui ont adhéré à la convention de Berne ou à celle de Genève, ainsi que par les Etats liés à la France par des traités bilatéraux ou qui sont membres d'unions extra-européennes.

         Compte tenu de ces précisions, la loi jouera à l'encontre des pays qui ne sont liés à la France par aucun accord et qui n'assurent en fait aucune protection aux œuvres divulguées pour la première fois en France.

         Cette loi ne s'applique donc pas aux Etats qui, bien qu'ils n’assurent sur le plan juridique aucune protection aux œuvres françaises, apportent néanmoins des garanties de fait à la propriété littéraire et artistique, tels certains pays latino-américains ou la plupart des nouvelles républiques indépendantes d'Afrique.

         En résumé, dans les circonstances présentes, le principe de réciprocité ne s'appliquera pleinement qu'à l'égard d'Etats qui se refusent à assurer la protection des droits des auteurs ou qui se refusent à en faire bénéficier l'auteur d'œuvres divulguées pour la première fois en France. M. le rapporteur en a cité. Je continue : Albanie, Arabie Séoudite, Birmanie, Chine, Indonésie, Irak, Libye, Népal, Soudan, Union Soviétique, Yémen.

         Vous constaterez que ces pays ne sont nullement liés par une idéologie politique.

         Nos rapports culturels avec certains de ces pays sont inexistants. D'autres, qui viennent d'accéder à l'indépendance, n'ont pas encore défini une doctrine en matière de protection du droit d'auteur. Mais avec tous la France est prête à négocier les accords qui mettront fin à un contentieux souvent irritant dans le respect des droits mutuels de chaque nation.

         Comme il est dit dans l'exposé des motifs du projet de loi, le plus grand nombre des Etats s'étant aujourd'hui ralliés à la défense de la propriété littéraire et artistique sur le plan international, «ceux qui s'y refusent encore se situent en dehors de toute notion concrète d'universalisme. Leur reconnaitre unilatéralement des droits reviendrait à leur consentir unilatéralement des privilèges».

         Le projet de loi soumis à l'approbation du Parlement a pour objet, et pour objet unique, de remplacer cette situation paradoxale par une suite d'accords raisonnables.

         Nous savons qu'il facilitera, s'il est adopté, la conclusion de tels accords. (Applaudissements sur les bancs de l'U.N.R.-U.D.T.)

……………………………………………………………………………………………

         André Malraux. – Le Gouvernement s'associe à l'amendement.

         Que l'Assemblée ne se méprenne pas – je ne veux pas faire un exposé technique – les résultats de l'amendement seront très limités.

         Cependant, si limités qu'ils soient, il est bon qu'ils existent, il est bon que l'amendement soit proposé, et par conséquent le Gouvernement l'accepte.

 

Télécharger le texte de Malraux.

 

AN64