D/1972.05.13 — André Malraux : «Discours de Durestal (Dordogne)»

André Malraux : «Discours prononcé le 13 mai 1972 au maquis de Durestal (Dordogne) à l'occasion du 27e congrès national des anciens de la brigade Alsace-Lorraine», La Brigade indépendante Alsace-Lorraine, Strasbourg, Amicale des anciens de la brigade Alsace-Lorraine, 1978, p. 46-47.


André Malraux

 

Discours de Durestal (Dordogne), 13 mai 1972

Voici donc, autour de nous, les mêmes bois que ceux qui virent le premier combat du premier maquis. Vous vous retrouvez, délégués des survivants et délégués des morts, délégués du courage en face de l'immense indifférence des arbres. Quand nous avons dû escorter vers le Panthéon le char qui emportait les cendres de Jean Moulin, il y avait un grand clair de lune et nous nous reconnaissions tous à sa vague clarté. Puis on a allumé des torches et nous avons distingués nos cheveux blancs. Alors, nos enfants ont pris les torches et escorté les cendres dans le piétinement des chevaux de la Garde qui présentait les armes et le reflet de la lune enchantée sur les sabres…

C'est à vos enfants que je dois dire aujourd'hui ce que vous avez fait. Croyez-moi : ce n'était pas si mal. Il y a assez de morts dans les cimetières et les bois qui nous entourent, pour que je puisse affirmer : vous vous êtes bien battus. Mais vous avez été plus que des combattants : vous avez été des témoins.

Qu'avions-nous à faire ? Organiser les unités qui, le jour venu, empêcheraient les divisions allemandes et d'abord les divisions cuirassées, de rejoindre à temps le front de Normandie. Si le général Eisenhower a exalté l'aide qu'il a reçue de la Résistance française, ce n'est pas, à l'époque, en raison des combats directs que nous avons livrés. Mais en raison de sa participation au plan d'ensemble du débarquement.

Ne nous vantons pas : ne nous dédaignons pas non plus. En 1941, l'état-major allié ne pensait pas un instant que le poids des maquis pèserait dans la bataille. De l'armée française, que l'on avait tenue quelques années plus tôt pour la première du monde, il ne restait que le souvenir des nuages obliques faits de la poussière des armées vaincues et du pétrole en feu. Qu'aurait fait, dans nos bois de chênes nains ou dans les massifs du Vercors, ce qui n'était plus que la France en haillons ? Ils ont fait ce qu'a fait le général de Gaulle : ils ont eu l'honneur de croire aux haillons.

Que l'on n'oublie pas ce que furent les premiers maquis. Ils n'étaient pas les régiments de francs-tireurs de Saint-Marcel, du Vercors, ou ceux que nous-mêmes avons opposés à la division «Das Reich». La lutte contre le travail obligatoire ne les avait pas encore peuplés, les premiers parachutages les avaient à peine armés. Quelques revolvers, quelques centaines d'hommes à quatre pattes dans les bois, un drapeau fait de trois mousselines nouées. Il y avait des Alsaciens, parce que beaucoup d'organisations d'Alsace étaient repliées sur des départements du centre. De tous ces hommes-là, on peut vraiment dire qu'ils ont maintenu la France avec leurs mains nues. L'immensité du givre sous la lune et les guetteurs à l'écoute des aboiements qui se rapprochaient quand avançaient par ici les troupes allemandes. Ils n'étaient rien de plus que des hommes du non, mais le non du maquisard obscur collé à la terre pour sa première nuit de mort suffit à faire de ce pauvre type le compagnon de Jeanne et d'Antigone… L'esclave dit toujours oui.

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