Discours prononcé lors du transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon

Jacques Chirac,  23 novembre 1996


Mesdames et Messieurs,

Le Panthéon n’est pas seulement un lieu de recueillement et de souvenir. C’est un lieu de vie, car les valeurs qui sont honorées ici, à travers celles et ceux qui reposent sous ses voûtes, sont d’abord des valeurs vivantes. C’est le combat pour la justice, celui de Voltaire dans l’affaire Callas, celui de Zola quand il accuse les calomniateurs du Capitaine Dreyfus. C’est la dignité de l’homme, toujours à défendre et à conquérir, qui habite René Cassin quand il inspire la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. C’est la passion de la liberté et le refus de l’oppression qui portent Lazare Carnot et ses soldats de l’An II, comme Jean Moulin et son armée des ombres, et qui donnent à la plume de Victor Hugo sa violence et sa force.

En prononçant ici, le 19 décembre 1964, l’éloge de Jean Moulin, André Malraux engageait la France toute entière et s’engageait lui-même. Il affirmait qu’au-delà des différences de générations, d’opinions publiques ou de croyances, il est des instants où une nation se rassemble autour des valeurs qui la fondent et ceci pour mieux les faire vivre.

André Malraux, je voudrais vous dire, ce soir, pourquoi l’hommage de toute la nation, acte d’évidence, acte de justice, est aussi le signe de notre engagement.

André Malraux, vous nous avez appris à nous défier des réponses toutes faites, de l’esprit de système qui dénie aux individus leur part d’influence sur leur propre histoire.

Vous êtes l’homme de l’inquiétude, de la recherche, de la quête, celui qui trace son propre chemin.

Vous avez, très jeune, mis un terme à vos études, parce que vous ne pouviez faire vôtres des nourritures intellectuelles que vous n’auriez pas trouvées vous-même, au hasard des bouquinistes ou dans les arrière-boutiques d’éditeurs confidentiels.

Vous étiez alors un dandy, avec ce que cela suppose de hauteur, de discipline, de brio, de désespoir. C’était l’époque, les années 20, mais c’était surtout vous-même. Dans vos conversations avec les poètes et les peintres cubistes, vos amis, vous étiez déjà celui qui interroge âprement notre condition. Au moment où vous vous frayiez un chemin en pays khmer, à la découverte de Banteai-Srey, avec l’intention de prélever des bas reliefs, vous posez la question, exprimée dans ” La Voie royale ” de ce que peut être la volonté face au grouillement des choses, aux forces obscures et émollientes qui ne sont pas seulement celles de la forêt cambodgienne.

Votre rapport à l’art, qui est sans doute la pierre angulaire de votre vie, n’est qu’une longue interrogation. Votre première femme, Clara, vous montre, à 20 ans, dans les musées de Florence, courant vers le beau, comme, écrit-elle, ” si vous étiez en danger “, avide de voir, de comparer, d’imaginer, de trouver votre monde. Plus tard, alors que ” Les Conquérants ” illustrent déjà le style et le sens de votre oeuvre, vous publiez ” Royaume farfelu “, texte fantastique, esthétisant, déroutant pour vos admirateurs, mais significatif, aussi, pour ceux qui savent la profondeur de votre pessimisme, la relation un peu grimaçante que vous aviez alors avec la mort, l’irrémédiable.


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