André Falk : «André Malraux, un ministre qui n’est pas de série», Europe-Amérique, n° 27, 20 décembre 1945, p. 16-18. Europe-Amérique se situait politiquement à gauche, tout en étant favorable au rapprochement USA – Europe de l’Ouest, ce qui n’est nullement contradictoire.
L’usage de «Pas de série» a fait réagir trois ou quatre de nos internautes. Disons qu’aujourd’hui, un journaliste, puisant dans les idées et expressions reçues (celles qui semblent circuler entre nous comme une petite cuillière qu’on se passerait de bouche en bouche, ainsi que le remarquait Nicolas Bouvier), un journaliste d’aujourd’hui dirait donc : «Hors norme», voulant signifier par là que l’itinéraire de Malraux était tout différent de la plupart des ministres dits «classiques».
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La caricature de Malraux en vautour de la Guerre Civile espagnole a paru dans Je suis partout, hebdomadaire de l’extrême-droite française, proche de l’Action française. Dès 1941, la publication deviendra nettement collaborationniste et antisémite. Evidemment France-Amérique ne reprend la caricature qu’à titre de document, montrant ainsi la haine dont Malraux a été l’objet par ceux qui soutenaient Franco, Mussolini et Hitler.
On y lit cette légende : «Pendant la guerre d’Espagne, Malraux combattit du côté rouge, dans une escadrille de bombardement. Voici comment le représentait Ralph Soupault, dans Je suis partout, de cette époque. Ce qui était, en somme, l’illustration d’une phrase de François Mauriac concernant Malraux : «Ce petit rapace hérissé respirant l’odeur des cadavres que chaque bouffée de vent faisait glisser sur le sol immobile, il s’en pénétrait avec une horreur satisfaite…»
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Extrait : /
Qu'il soit le chantre passionné d'un communisme fraternel, ou maintenant le paladin de la «civilisation atlantique», importe assez peu. Tel chroniqueur qui le traite de «révolutionnaire assagi» se rend grotesque. S’il y a lieu de reprendre l'apostrophe de Barres à Doumic : «Pas de veau gras !», c'est bien à son propos. Aucune étiquette ne saurait réduire Malraux à la misérable échelle de l'esprit partisan. Il est peut-être l'écrivain le plus important d'aujourd'hui, celui dont on ne peut parler sans user des mots les plus rares : lucidité, fraternité, grandeur ; le témoin indispensable d'une époque fiévreuse et dure.
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