Gabriel Monnet, «De l'éducation à la culture», «Actuelles», juillet 1964, n° 6, p. 3.

 

 

André Malraux définit objectivement la culture en disant qu'elle est «le domaine de ce qui a survécu».

On peut ajouter qu'elle est aussi le domaine de ce qui tente de survivre.

Elle est le fait de tout homme qui résiste à ce qui l'écrase.

«Du fond des âges, dit Paul Eluard, monte le désir irrépressible de Voir».

Et «Voir», c'est comprendre et aimer, participer, s'engager et juger, construire et se connaître à la mesure des hommes et du monde.

Quiconque parvient à nommer ce qu'il ignore commet un acte équivalent à celui de tout grand poète ou savant. Il triomphe de sa propre nuit.

Depuis trois quarts de siècle seulement, dans notre pays, le droit de l'homme à comprendre l'univers est assumé par l'Etat, et ce que l'on nomme «l'Education Nationale» a pris en charge l'éveil et la formation des esprits.

Il a été arbitrairement convenu que l'enfance serait le temps légal durant lequel tout citoyen serait soumis au devoir d'assimiler les vérités acquises, selon des cycles et des séries d'épreuves qui l'affranchiraient peu à peu (mais illusoirement).

D'où vient que cette immense entreprise n'a pas comblé tous les besoins, et que l'on arrive de nos jours à distinguer l'éducation de la culture et à constater le fossé qui sépare les «intellectuels» du public ? L'analyse qu'il faudrait entreprendre ici est considérable. Je me demande même si nous disposons du recul et des instruments nécessaires pour en venir à bout.

Contentons-nous d'avancer sommairement que l'Education Nationale se contentait de forger des hommes capables de faire face à la «vie quotidienne» et à l'histoire immédiate, mais qu'elle n'entreprenait pas de leur découvrir les vertigineuses dimensions de leur destin.

Vaincre en soi la peur de mourir est une chose. C'en est une autre que de vaincre la peur de vivre.

Car enfin l'homme ne vit pas que de pain, ni même de cette paix qui n'est que l'absence de guerre. Créature émergée du chaos des choses, il lui faut pour demeurer vivant faire face, jour après jour, à d'innombrables menaces d'anéantissement.

L'éducation guide les enfants des hommes sur des terrains connus. La culture leur propose une interrogation permanente. Elle est l'esprit qui s'aventure, se délivre et se déploie.

Tandis que notre système éducatif constitué en formidable machine de distribution des idées – même à ses niveaux supérieurs – n'engendrait que des hommes à son image, les créateurs les plus authentiques de ce temps se manifestaient hors de lui, sans lui, quelquefois malgré lui (dans les bistrots de Montparnasse par exemple, ou quelques laboratoires sordides).

Que faut-il ?

Faciliter la tâche de ceux qui constituent la pointe chercheuse de l'humanité.

Promouvoir la solidarité des consciences humaines.

Instituer des lieux ouverts à leur rencontre (les Maisons de la culture).

Et pour le moment : le vouloir et le faire.

 


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