Notre propos est de montrer comment et pourquoi le dernier Malraux se réfère, bien plus souvent qu'il ne nous le laisse voir, à Carl Gustav Jung, comment il le rejoint sur des questions essentielles sans avoir peut-être préalablement subi son influence, comment il le lit ou le commente et, enfin, comment, en s'appuyant sur l'anecdote (inspirée de la vie du psychanalyste suisse) qui figure à la fin de l'introduction des Antimémoires, il a entendu l'utiliser pour mettre en exergue aussi bien ce qui l'obsède que ce qui, au fond, les sépare.
Pourtant ce rapport ne va nullement de soi, il nous place d'emblée au cœur d'un paradoxe, ayant un lien direct avec l'attitude ouvertement hostile de Malraux à l'égard de la psychanalyse, qu'il accuse de mettre en péril l'unité de la personne et de réinstaller la fatalité en l'homme. Par ailleurs, Malraux se méfie beaucoup du terme inconscient, à cause de son caractère équivoque, qui a rendu, lit-on dans la Monnaie de l'absolu, «plus complexe» ce qu'on avait entendu jusqu'alors par instinct. Il lui préfère celui d'irrationnel.
L'irrationnel étant cette part obscure enfouie en chacun de nous, et qui fonde notre être. L'irrationnel n'implique à cet égard ni subdivision du psychisme en plusieurs instances ni connaissance de l'homme à partir de ses secrets personnels. Les «prophètes d'Israël», qui pressentirent son existence et son pouvoir mobilisateur, «ne font nullement de prophéties, nous dit Malraux : ils proclament ce que leurs auditeurs portent en eux, mais ignorent ou n'osent pas reconnaître.»
© Présence d’André Malraux sur la Toile, article 118, texte mis en ligne le 25 décembre 2011.
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