Image of Malraux et le Bangladesh. — «Paris Jour», 18-19 septembre 1971, n° 3736, p. 7.  «Malraux repart en guerre…».

Malraux et le Bangladesh. — «Paris Jour», 18-19 septembre 1971, n° 3736, p. 7. «Malraux repart en guerre…».

Malraux et le Bangladesh

 

Paris Jour, 18-19 septembre 1971, n° 3.736, p. 7.

«Malraux repart en guerre…».

 

A soixante-neuf ans, André Malraux vient d'offrir de reprendre du service. Pas comme ministre, comme combattant. Délaissant ses manuscrits, la propriété de Louise de Vilmorin, à Verrières, où il réside, et les restaurants parisiens où il a ses habitudes (il a une table retenue en permanence chez Lasserre), il propose de partir pour le Bengale et de prendre la tête d'une unité de séparatistes pakistanais.

 C'est à un ambassadeur indien en poste à l'étranger qu'il a fait part de sa décision. On ne sait ni le nom de ce diplomate, ni le pays où il est en poste, mais l'on confirme la nouvelle à New Delhi. Et l'ancien ministre du général de Gaulle s'apprête d'ailleurs à publier un communiqué à ce sujet.

André Malraux a adressé une longue lettre à cet ambassadeur pour s'expliquer sur les raisons de sa décision. Il expose notamment pourquoi il refuse de jeter son prestige d'écrivain et d'ancien ministre dans un simple geste de solidarité. «Des conférences sur le Bangladesh, dit-il, serviraient seulement de base à des articles alors que le Pakistan ferait avancer ses chars». Et Malraux conclut, cinglant : «Les seuls intellectuels qui ont le droit de défendre par la parole les Bengalis sont ceux qui sont prêts à se battre pour eux».

 

L'aventurier

Aventurier des années 20, révolutionnaire des années 30, héros de la Résistance, André Malraux, en se portant volontaire, montre qu'il est resté un «baroudeur» profondément marqué par ses contacts de jeunesse avec les forces révolutionnaires de l'Inde et de la Chine, en qui il avait pressenti, dès 1925, une des grandes forces de l'avenir.

A l'image de Lawrence d'Arabie, avec lequel il avait sympathisé («on se reconnaît de loin entre membres d'un même clan», a-t-il dit un jour, en parlant de l'auteur des Sept piliers de la sagesse), Malraux était un «dandy» aux élégants costumes, jouant de la plume dans les revues avant-gardistes, spéculant à la bourse entre deux visites à la Bibliothèque nationale, lorsqu'il part avec sa femme Clara pour l'Extrême-Orient en 1923.

Son premier contact, en Indochine, avec le système colonial français de l'époque provoque son engagement total aux côtés des Indochinois. Il fonde en 1925 une revue, L'Indochine, dans laquelle il luttera pendant deux ans pour l'émancipation des peuples colonisés. En Chine, il rencontre Borodine, délégué du Komintern, assiste au soulèvement de Canton et aux troubles de Shanghai.

Rentré en France, il publie en 1928 Les Conquérants, s'engage à fond dans l'action antifasciste et se rend à Berlin avec Gide pour demander à Hitler la libération de Dimitrov et de Thaelmann.

En avril 1934, il part en avion vers l'Arabie saoudite à la recherche de la capitale de la reine de Saba… Salué par les fusillades de bédouins arabes, il aboutit en Ethiopie, dont l'empereur le reçoit fastueusement dans son palais d'Addis-Abeba.

Juillet 1936, la guerre civile en Espagne, Malraux, partisan farouche de la République espagnole, fonde l'escadrille «Espoir» et se bat à Teruel et Medellin contre des forces supérieurement équipées de matériel fourni par Hitler et Mussolini. Il est blessé. Hemingway, alors correspondant de guerre pour la presse américaine, l'appelle : «André Trompe-la-Mort»

 

Le «colonel Berger»

En 1939-40, bien que réformé, il s'engage, à 38 ans, comme deuxième classe dans les chars et s'évade de la cathédrale de Sens, où les Allemands ont enfermé leurs prisonniers.

Il entre dans la résistance et devient le chef de la brigade Alsace-Lorraine sous le pseudonyme de «colonel Berger», nom d'un des héros de son livre : Les Noyers de l'Altenburg.

Son ralliement au gaullisme fait succéder à l'aventure un engagement dans l'art et la politique. Son action auprès du général de Gaulle, dont il est notamment le ministre des Affaires culturelles (1945-46 et 1958-69) et le conseiller le plus écouté, est déterminante.

L'homme d'action n'était pas mort pour autant. Sous le personnage officiel, il ressuscite aujourd'hui avec éclat.


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