E/1973.06.02 — «Malraux, retour des Indes. Dans ses “Antimémoires”, Malraux racontait ses conversations de 1966 [sic] avec Nehru. Sept ans après, il va voir Indira Gandhi», «Paris Match», 2 juin 1973, n° 1256, p. 53-58.

Malraux : 

«La dernière fois que je suis allé aux Indes, en 1966 [sic], il y avait encore, autour du vieux Delhi, 10.000 Anglais dans leurs résidences derrière leurs gazons. Beaucoup étaient restés dans l'administration, comme conseillers, aujourd'hui c'est fini. Mettons qu'il en reste 5.000, qui travaillent dans le privé. L'exemple de l'Algérie, pour parler des Indes et des Anglais, est bon : aux Indes, la situation ressemble davantage à celle des Français en Algérie qu'à celle des Français au Maroc. Au Maroc, vous avez encore, dans l'éducation nationale, une structure française. Aux Indes, il n'y a pas de structure anglaise.

«Les 5.000 Anglais sont perdus parmi 2 millions d'Indiens nouveaux venus, dont beaucoup sont fonctionnaires et qui forment une classe bourgeoise importante. L'ancienne ville de Delhi – Old Delhi – est ainsi entourée d'un anneau de banlieue américaine où vivent ces 2 millions de nouveaux habitants qui ne sont pas pauvres et qui ont complètement changé l'atmosphère. On aurait dit, il y a 7 ans, qu'en 1973 il n'y aurait plus de vaches dans les rues de New Delhi, les Indiens seraient tombés des nues. Avant, quand vous circuliez en voiture, vous étiez secoué comme un prunier parce qu'il y avait toujours des vaches à contourner. Aujourd'hui, c'est fini. Et comme elles sont très peu nombreuses, elles ne sont plus squelettiques. Ce sont plutôt des veaux assez allègres. Il faut préciser qu'aux Indes il n'y a jamais eu de vaches sacrées. Ceci est une formule européenne – comme «hara kiri» qui n'existe pas en japonais. Ce qu'on appelle les vaches sacrées, c'est simplement le fait qu'il y a des vaches… Autre changement : les intouchables devenus invisibles alors qu'ils étaient partout. Les uns, évidemment, ont cessé d'être intouchables parce que les idées de caste se sont atténuées; les autres doivent être dans les campagnes où ils participent d'ailleurs à tous les votes : ils ne peuvent être touchés mais, devant l'urne, touchent leur bulletin de vote… Le ministre de la Guerre, lui-même, est un intouchable !»

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