«Malraux vu par…», Le Magazine littéraire, 1967.
Pierre Drieu La Rochelle
Telle pensée, tel style. Malraux a une expérience et une pensée. Cette expérience et cette pensée se cherchent constamment, elles veulent s'atteindre, elle se serrent de plus en plus près. La pensée de Malraux est fiévreuse, violente, obscure; mais son expérience est claire et ordonnée. On pourrait dire que ses deux romans sont obscurs – comme son essai : La Tentation de l'Occident, l'est d'une autre manière, plus subtile – si ces romans n'étaient fondés sur la base solide et nette de son expérience. Par là-dessus, sa pensée peut s'agiter, pétarader, faire des éclairs et de la fumée : reste la base, un récit qui retrace des faits.
Malraux, comme la plupart des Français, n'a point d'invention. Mais son imagination s'anime sur les faits. On a le sentiment qu'il ne peut guère s'écarter de faits qu'il a connus. Les péripéties de ses livres ont ce caractère fruste qui ne trompe pas, qui témoigne d'un transfert direct de la réalité dans le récit. Mais à travers une série brève et rapide d'événements, l'art de Malraux est de faire saillir avec un relief saisissant les postulats de son tempérament intellectuel. Une seule ligne d'événements et, foulant cette ligne, un seul personnage, un héros. Ce héros, ce n'est pas Malraux, c'est la figuration mythique de son moi. Plus sublime et plus concret que lui. Malraux tient là la faculté capitale du poète et du romancier.
(N.R.F., décembre 1930)
André Gide
J'ai repris, depuis le début, La Condition humaine. Ce livre qui, en revue, m'apparaissait touffu à l'excès, rebutant à force de richesse et presque incompréhensible à force de complexité… me semble, à le relire d'un trait, parfaitement clair, ordonné dans la confusion, d'une intelligence admirable et, malgré cela (je veux dire : malgré l'intelligence), profondément enfoncé dans la vie, engagé, et pantelant d'une angoisse parfois insoutenable.
Tristesse de ne me sentir pas la force d'écrire au sujet de ce livre et pour aider à son succès, l'article qu'il mérite.
André Malraux, de même que Valéry, sa grande force est de se soucier fort peu s'il essouffle, ou lasse, ou «sème» celui qui l'écoute et qui n'a guère d'autre souci (lorsque celui qui l'écoute, c'est moi) que de paraître suivre, plutôt que de suivre vraiment. C'est pourquoi toute conversation avec ces deux amis reste, pour moi du moins, quelque peu mortifiante, et j'en ressors plutôt accablé qu'exalté.
(Journal)