Image of Art. 263, décembre 2019 • Françoise Theillou, «“Les Grandes Danseuses vertes” : en sortant de l’exposition» – inédit.

Petite Danseuse de quatorze ans

 

Grandes Danseuses vertes

Art. 263, décembre 2019 • Françoise Theillou, «“Les Grandes Danseuses vertes” : en sortant de l’exposition» – inédit.

Françoise Theillou                                                                  

  

Les Grandes Danseuses vertes : en sortant de l'exposition

  

Parmi les œuvres phares qui impressionnèrent Malraux à l'adolescence figure une toile qu'on n'aurait peut-être pas attendue, Les Grande Danseuses vertes de Degas. Il la découvre, « avec une force de révélation », écrit-il[1], dans la galerie Georges Petit, parmi les deux cents œuvres récupérées de l'atelier du peintre décédé en septembre 1917. La première vente aura lieu le 8 mai 1918. L'auteur évoque les derniers bombardements de la guerre. Nous apprenons par une variante du manuscrit de La Métamorphose qu'il a «quinze ou seize ans[2]». Il en a en réalité 17, et l'on peut imaginer que c'est au printemps de la même année qu'il rencontre l'œuvre. « Jamais, précise-t-il dans un passage biffé de la même page, nous n'avions vu à la fois deux cents œuvres de qui que ce fût ». Voilà bientôt deux ans que l'adolescent, encore élève de l'Ecole Turgot[3], sillonne Paris avec « l'ami Chevasson », du Quartier latin à l'Institut de France, de Montparnasse à Montmartre, du Louvre aux boîtes proches des bouquinistes. Pendant la Grande Guerre, ses « grandes vacances à lui[4] » auront été fureteuses, « une chasse aux trésors ». En 17, il a déjà acquis une compétence de bibliophile, il sait la qualité d'un vélin ou d'une reliure, la valeur d'une édition de Laforgue ou de Lautréamont parfois ignorée du marchand. Il alimente ainsi le cabinet de lecture du libraire-éditeur bibliophile René Doyon, 9bis rue de la Madeleine. « Place de la Madeleine, bon métro », rappelle-t-il joyeusement, toujours dans la même page. En une quinzaine d'années, du début du siècle et la guerre, le quartier est devenu le fief des grands galeristes modernes. Ils y consacrent et célèbrent les grands artistes de la génération précédente, Impressionnistes et Postimpressionnistes, ils y promeuvent les acteurs novateurs du moment. Il fréquente, rue Richepanse, Bernheim jeune, marchand de Cézanne, de Bonnard et de Vuillard, rue Vignon, Daniel-Henry Kahnweiler, celui de Braque et des cubistes, 8 rue de Sèze, Georges Petit, l'un des plus puissants moteurs du marché de l'art, « Le Magasin du Louvre de la peinture », disait Zola. La Galerie Petit vendait en effet à la fois des artistes du Salon et « Les Modernes » dans un cadre immense et luxueux, murs tendus de velours rouge, éclairage zénithal, système de lustres s'élevant et s'abaissant à volonté[5].

[1]    La Métamorphose des dieux, Chapitre V de L'Intemporel, Pléiade V, p. 762.

[2]    Ibidem, voir p. 1465 la note correspondant à la page 763.

[3]    Le Lycée Turgot fut d'abord une Ecole primaire supérieure.

[4]    Le rapprochement avec le héros du Diable au corps nous semble s'imposer ici : « Que ceux qui m'en veulent déjà se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances ».

[5]    Georges Petit s'était construit en 1881, au 8 rue de Sèze, un vaste hôtel particulier qui ouvrait également sur le 12, rue Godot-de- Mauroy. Il avait hérité la fortune de son père, lui-même galeriste rue Saint-Georges, dans la Nouvelle-Athènes. Celui-ci avait été le marchand de Delacroix qui l'avait aussi couché sur son testament. Son fils, « Le vorace Petit » (Octave Mirbeau), succédant à son père, s'était arrangé pour vendre avec un énorme bénéfice les Impressionnistes auxquels Degas se défendait d'appartenir bien qu'il fût l'organisateur de leurs expositions.


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